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gerboises effrayées qui rentrent dans leur trou ; sur nos têtes, le vautour, le milan qui, par instinct, suivent la colonne.

« A Tadjemout, nous n’étions plus qu’à 6 lieues d’Aïn-Madhi. J’offris d’y aller moi-même avec ce qu’on voudrait me donner et d’entrer dans la place. Le lendemain matin, le général Marey me fit demander à six heures et me dit : « Vous allez partir avec quelques officiers que vous choisirez dans toutes les armes pour représenter l’armée; je vous donnerai 12 chasseurs à cheval et 100 hommes des goums, et vous entrerez à Aïn-Madhi. Le khalifa Zenoun vous accompagnera. J’espère que vous serez bien reçu. Soyez prudent. Vous visiterez la ville et ferez vos observations ; vous ferez aussi lever des plans et me rendrez compte. Je désire que vous soyez rentré avant la nuit. »

« Ravi de cette mission, je suis parti du camp, à huit heures du matin, avec un état-major de 10 officiers et la petite escorte de 115 chevaux environ. A onze heures et demie, j’étais sous les murs d’Aïn-Madhi ; je faisais venir les principaux habitans et je leur disais que nous venions en amis, qu’ils s’étaient soumis et que nous leur devions protection, mais que partout les Français étaient maîtres, et que rien ne les arrêtait pour entrer où il leur plaisait d’entrer. Ensuite, j’ai fait prendre 12 des principaux comme otages, je les ai mis entre les mains de 6 chasseurs et de quelques cavaliers du goum, avec ordre de les bien traiter, mais de ne les lâcher qu’après mon retour, et je suis entré dans Aïn-Madhi avec mes 10 officiers, 6 chasseurs et quelques chefs des goums. Je me suis promené partout à cheval pendant le temps nécessaire pour parcourir la ville, qui est petite et en ruines; puis j’ai mis pied à terre et je me suis encore promené. Nous avons été reçus dans la maison d’un chef qui nous a donné des dattes à manger. Nous les avons dévorées, nous mourions de faim. Des dattes ont été portées par les gens de la ville à notre escorte. A midi, j’avais envoyé un courrier au général Marey avec deux lignes : « Je sais que vous êtes inquiet; rassurez-vous. Je suis entré dans la ville sans coup férir et je m’y promène. Nous avons été bien accueillis. Ce soir, à six heures, je serai au camp. »

« Quant à Tedjini, se renfermant dans sa dignité de marabout et de chérif descendant du Prophète, il était resté fort inquiet dans sa maison. Par le moyen du khalifa Zenoun, je l’ai fait engager à recevoir mon chargé d’affaires arabes, le capitaine d’état-major Durrieu, qui le rassurerait sur nos intentions toutes pacifiques et conciliantes. Il y a consenti après bien des hésitations. Tedjini est un homme de trente-six à quarante ans, replet, bien portant, la peau cuivrée, se gardant dans sa maison comme dans une forteresse.