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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/384

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qu’en dérogeant pour eux aux principes généraux du droit germanique sur la responsabilité civile, les auteurs de cette dernière proposition dérogent deux fois contre les patrons, ou plutôt contre une catégorie de patrons, au droit commun français, d’abord en mettant à leur charge une présomption de faute, ensuite en décidant que l’assurance sera nécessairement contractée par leurs soins. Système trois fois inique ; d’abord parce qu’il écrase les uns au profit des autre, ensuite parce qu’il empêche les « employés » de s’assurer directement à leur convenance, enfin parce qu’il met hors la loi nouvelle, soit les ouvriers qui travaillent directement pour leur compte, soit les membres des sociétés coopératives, qui n’ont pas de patron. Il ne restait qu’à laisser forcément à la charge définitive de « l’employeur » une partie de la prime, et c’est à quoi l’on n’a pas manqué : l’ouvrier ne peut pas être tenu d’en payer plus de la moitié. Après avoir ainsi tarifé la contribution des patrons, le projet établit naturellement au profit des indemnitaires un minimum d’indemnité : l’assurance devra leur garantir au moins ce qu’ils auraient touché de la caisse publique instituée par la loi de 1868. La logique exigeait dès lors qu’on imaginât un monopole au profit de quelques assureurs : en effet, il sera loisible aux ouvriers de s’adresser, soit à cette caisse d’état, soit aux compagnies qui rempliront certaines conditions déterminées par un règlement d’administration publique, et voici que, après avoir investi certains industriels d’un privilège, on organise législativement la plus étrange des concurrences, celle de l’état et des privilégiés. Or, il est bon de le remarquer, l’état ne peut pas s’enrichir à ce métier, car il exploiterait alors à son profit la gêne des prolétaires ; mais il peut encore moins s’y appauvrir par un abaissement exagéré des tarifs, car il ferait supporter à la masse des contribuables les mauvais résultats de ses fausses combinaisons, et ruinerait du même coup une industrie privée des plus importantes, en laissant pâtir les assurés d’une insolvabilité qu’il aurait provoquée. Enfin, comme s’il n’y avait eu coin ni recoin où la liberté des conventions ne dût être traquée, tout pacte contraire aux injonctions de la loi proposée, qu’on veuille obliger, selon les anciens principes du droit civil, le demandeur à prouver la faute, ou tempérer par quelque adoucissement le régime de l’assurance obligatoire, est déclaré nul, et l’on inflige une responsabilité pécuniaire égale à celle de l’assureur, couronnée par un système d’amendes, au chef de tout établissement industriel qui n’aura pas fait assurer ses ouvriers.

En revendiquant la liberté civile, nous craignons de commettre un anachronisme. Ce mot de « liberté, » qui charma jadis nos oreilles, est de ceux qu’il faut prononcer avec discrétion, en choisissant