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Fénelon disant des bâtards de Lacédémone : « nés de femmes qui avaient oublié leurs maris absens pendant la guerre de Troie. « 

Rien ne pouvait agir plus puissamment sur l’imagination de Chateaubriand que la conversation intarissable de ce noble ami, qui voulait faire passer le sens exquis dans le sens commun, et dont les pensées et les paroles avaient des ailes !

Quand il le quittait, Chateaubriand retrouvait Mme de Custine. Pendant l’hiver de 1805, il la fréquenta assidûment. Elle l’appelle familièrement Colo, tandis que dans la société de Joubert on le nommait le Chat, et Mme de Chateaubriand, qui avait des griffes, la Chatte. Delphine confie à Chênedollé qu’à Paris René vient la voir tous les jours ; mais Chênedollé, absorbé dans sa douleur, ne répond plus aux lettres qu’elle lui envoie.


« Paris, 18 janvier 1805.

« Je ne reçois plus de vos nouvelles, je ne sais que penser de votre silence, je crains que vous ne soyez malade ; j’attends votre petite note pour vous obtenir la permission de venir ici. (Il s’agissait d’un passeport à demander à Fouché.) Colo vous a écrit. Il dit que sa lettre était charmante et que vous devez en être enchanté. Il vous attend, il vous aime, il parle de vous souvent. Je voudrais bien vous voir ici, ou du moins savoir pourquoi vous ne venez pas.

« Ce n’est pas bien à vous de prendre les mauvaises manières de votre ami ; je suis sérieusement fâchée, mais peut-être êtes-vous malade ? Alors je suis toute pitié, tout émoi, je pardonne tout et demande au moins un détail exact de vos souffrances et de vos projets.

« Adieu, mes amis partent souvent de vous et vous désirent.

« La Souris n’est pas encore à Paris. »


Mme de Custine ne savait pas la peine secrète qui rongeait le cœur de Chênedollé. Il n’avait osé confier à personne qu’à Guéneau de Mussy son désespoir silencieux et farouche. Mme de Custine n’avait pas connu Lucile ; elle ne devinait pas que Chênedollé, dans son deuil, avait rompu tout commerce épistolaire ; mais elle ne se décourageait pas de ses sauvageries.

« Mais, mon Dieu, que devenez-vous donc ? lui écrit-elle encore le 16 mars 1805 ; plus un mot de vous, plus un souvenir, pas même une jérémiade ; je préfère tout à votre silence. Oh ! si vous ne venez pas à Paris, promettez, jurez de venir à Fervaques longtemps cette année ! Jurez de me dédommager et de ce silence et de cette absence ! Mais que vous arrive-t-il donc ? Pourquoi singez-vous