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vague idéal de néo-christianisme et de socialisme rudimentaire. Il tient qu’on ne saurait trop réagir contre l’hypertrophie cérébrale et qu’il faut la combattre par le travail manuel. Ce qui ne l’empêche point de poursuivre son apostolat dans un cycle de publications où il emprunte toutes les formes, dissertations philosophiques, controverses théologiques, tableaux de mœurs, contes populaires. En dernier lieu, il s’est souvenu que la moralité dramatique, telle que l’entendait le moyen âge, était le meilleur moyen de parler à l’imagination du peuple. Pour combattre l’ivrognerie, il a écrit le Premier distillateur, diablerie naïve, volontairement enfantine ; et enfin, au commencement de l’année dernière, la Puissance des Ténèbres, Son intention est manifeste ; il a d’ailleurs pris le soin de la commenter. Cette sombre peinture doit montrer au peuple russe la dégradation où il vit, sous la double fatalité de l’ignorance et des mauvais instincts ; elle doit lui rappeler la nécessité d’une loi morale et, pour celui qui a manqué à cette loi, la seule voie de réhabilitation, le sacrifice expiatoire librement consenti.

Je passerai rapidement sur l’analyse de la pièce : ceux qui s’intéressent à ces études la connaissent par les traductions déjà publiées. Le premier acte nous introduit dans l’intérieur de la famille Piotre; le mari est un paysan sur l’âge, de santé chétive ; sa femme Anissia vit avec le valet de ferme Nikita, un coureur et un ivrogne, qui repousse cruellement une pauvre fille séduite par lui et à laquelle il avait promis mariage. La mère de Nikita, uniquement occupée d’enrichir son fils, donne des poudres à Anissia et lui persuade de hâter la fin du moribond qui les gêne. Il expire au second acte; les deux femmes s’emparent de son argent et le confient à Nikita. Au troisième, nous retrouvons ce vaurien marié à Anissia, maître à son tour dans la maison ; il se grise, brutalise la malheureuse qui a commis le crime pour lui, et courtise sa belle-fille Akoulina. Au quatrième acte, Akoulina met au monde un enfant; Nikita, harcelé par sa mère et sa femme, les aide à faire disparaître le petit être, qu’on enfouit dans la cave sous les yeux du spectateur; on se débarrassera d’Akoulina en lui faisant épouser quelque va-nu-pieds. Au cinquième acte, ce mariage s’est arrangé; nous assistons au repas de noces. Nikita, bourrelé d’ennui et de remords, refuse de s’y rendre ; comme on l’y traîne, son âme éclate dans une confession publique : il se dénonce à l’officier de police, en demandant pardon à Dieu et aux hommes. Tandis que sa mère domine toute l’action comme le mauvais génie de ces misérables, son père, le vieil Akim, un humble manouvrier d’intelligence obscure et de cœur droit, traverse cette même action comme la voix de la conscience morale ; il morigène son coquin de fils, à la fin il l’encourage