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par exemple; ils n’en ont plus aucune dans les joyeux domaines de l’art dramatique, vaudeville, farce, imbroglio, où il se trouve encore des bienfaiteurs de l’humanité pour suspendre les soucis du pauvre monde en lui communiquant l’éclat de rire. — On leur remontre, à ces fâcheux, que le théâtre a été, depuis quarante ans, la branche la plus vivace de notre littérature, celle où le génie français, avec ses qualités d’invention, de force, d’esprit, d’élégance, s’est le mieux maintenu et le plus victorieusement imposé à tout le monde civilisé. Ils persistent dans leur injustice, ou, pour parler plus exactement, dans leur ingratitude. L’enfant n’est pas injuste, quand il sent et affirme son droit de vivre à sa façon, il est ingrat. Ces « jeunes » sont las de ce qui nous a divertis, parce que ce n’est pas leur œuvre et qu’ils ont d’autres aspirations. Éternelle superbe du petit être qui entre dans l’existence comme dans une ville prise, avec la volonté d’avoir son joujou à lui, de briser celui des autres ! Il faudra bien qu’on découvre et qu’on leur donne le joujou dont ils ont envie. — Nous sommes sur le pont d’un paquebot qui passe la ligne, à l’instant où apparaissent les étoiles du ciel nouveau. Une vigie les aperçoit et les signale : personne ne l’écoute. On avance encore ; ceux qui ont la connaissance du ciel et l’habitude de le regarder discernent enfin les constellations du Sud. Des sentimens divers se font jour : enchantement et admiration chez les jeunes voyageurs, remplis d’espoir et de projets, impatiens d’arriver, curieux du pays inconnu où ils vont; tristesse et regrets chez les vieillards qui s’exilent, qui disent un adieu mélancolique au ciel familier, le seul beau, puisqu’il avait éclairé leurs joies; ils n’attendent plus rien de l’autre, aussi le trouvent-ils sombre. Le gros des passagers demeure inattentif : beaucoup ne distinguent pas ce qui a changé, là-haut; d’autres ne lèvent même pas la tête; occupés aux choses habituelles, ils dînent, jouent, dorment. Les derniers astres connus disparaissent; peu à peu, tout le monde regarde, s’instruit et s’accoutume aux aspects étranges de l’horizon. Cependant le navire avance toujours sur la mer, sans qu’on ait la sensation de sa marche ; au-dessus des joies, des regrets, des ignorances, les étoiles australes ont conquis le firmament; elles poursuivent leur route, indifférentes, soumises à la loi mystérieuse qui les a distribuées dans l’espace, qui a réglé leur lever et leur déclin,


IV.

Les livres des Russes nous ont offert une nourriture au goût du jour ; il était à prévoir qu’on chercherait bientôt dans leur théâtre la satisfaction