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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/480

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en Bulgarie, ou l’imprévu. Que feront les trois puissances récalcitrantes? En prolongeant leur abstention, elles se font les complices d’une violation flagrante du droit diplomatique, elles laissent entrevoir d’autres desseins que la Russie peut prendre pour de l’hostilité; mais alors c’est le traité de Berlin qui est tout entier en cause, et ce n’est plus à une question bulgare, c’est à un problème européen qu’on a affaire. Et voilà la paix toujours bien en sûreté !

Cependant, au moment même où se déroulent des événemens qui peuvent décider du sort du monde, des affaires sérieuses qui intéressent tous les peuples, nos politiques, nos orateurs, nos chefs de parti, s’agitent toujours dans le vide ou se perdent dans des débats sans issue et sans profit. La pire des choses est qu’on en vient à ne plus savoir positivement ce qu’on fait, où l’on va, que le ministère ne le sait pas plus que ceux qui le combattent ou que ceux qui le défendent, et qu’on serait bien embarrassé pour faire un ministère nouveau à peu près sûr de vivre quelques mois.

Depuis que la session est ouverte en France, on est à éplucher, à discuter un budget où l’on finit bien évidemment par ne plus se reconnaître, et on arrive jour par jour, d’un pas plus ou moins léger, au moment où vont expirer les trois douzièmes provisoires qui ont été déjà accordés au gouvernement; on va probablement être dans la nécessité d’en voter de nouveaux, et le budget de l’année courante ne sera pas encore adopté lorsque le budget de l’année prochaine devrait être déjà préparé, étudié. Les affaires du pays ne sont le plus souvent qu’un prétexte ou une apparence, la réalité est du temps perdu. Ce n’est point assurément, pour ne rien exagérer, que, dans ces débats indéfiniment prolongés, diffus et inutiles, engagés à propos de tout, il n’y ait pas parfois des éclairs, de sérieuses et instructives manifestations. Il y a eu certainement l’autre jour, au sénat, à propos de la disjonction du conseil municipal de Paris et du conseil-général de la Seine, une lumineuse et forte discussion, où M. Bardoux, M. Buffet, M. Léon Renault, ont eu raison, par la vigueur décisive de leur parole, d’un projet qui conduisait droit à la mairie centrale. A la chambre même, au Palais-Bourbon, dans cette interminable discussion du budget, il y a eu, nous en convenons, d’habiles exposés financiers, et il y a eu aussi, notamment à propos de la politique extérieure, deux discours aussi brillans que sérieux : l’un où M. de Breteuil a retracé avec un sentiment juste, fin et patriotique, les affaires de notre diplomatie en Europe; — l’autre où un jeune homme, qui mérite le nom d’orateur, M. Paul Deschanel, a exposé avec une éloquence précise et entraînante nos intérêts d’influence en Orient. Ce sont les bons jours, nous l’avouons sans peine. Malheureusement, les bonnes fortunes sont rares, et le plus souvent, pourvu qu’on pérore et qu’on vote dans la confusion, pourvu qu’on ait saisi l’occasion de supprimer les inspecteurs-généraux de l’enseignement