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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/543

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avait une sœur belle comme le jour, et qui s’appelait Aurore. Pour recueillir la succession de son frère, qui lui était disputée, elle se rendit à Dresde, à la cour de l’électeur de Saxe, Frédéric-Auguste, depuis roi de Pologne sous le nom d’Auguste II, et qui fut le rival de Stanislas et l’adversaire de Charles XII. Que de grands noms dans ces aventures ! Elle devint sa favorite et elle en eut un fils illustre, Maurice, maréchal de Saxe, le plus grand homme de guerre du XVIIIe siècle après Frédéric ; officier de fortune du reste, qui vint offrir ses services à la France, sous les drapeaux de laquelle il gagna la bataille de Fontenoy. Ce guerrier était un vert-galant. Il eut une maîtresse à l’Opéra. Cette actrice, Mlle verrière, eut du maréchal une fille qui fut reconnue par lui et protégée par la famille royale de France, avec laquelle elle avait, par Auguste de Pologne, une sorte de parenté. Cette fille du maréchal de Saxe est la seule personne de la famille qui paraît avoir eu le sentiment de la vie réelle, le goût et le respect des convenances mondaines, et même un peu le préjugé aristocratique. Elle épousa M. Dupin de Francueil, fils de Dupin de Chenonceaux, fermier-général, dont la seconde femme, Mme Dupin, tint un des salons les plus brillans du XVIIIe siècle, et fut l’amie de Jean-Jacques Rousseau : c’est dans cette maison de Chenonceaux que celui-ci fit son éducation comme pédagogue, en faisant l’éducation des enfans de la maison. Quant à Francueil, ce fut, comme on le sait, l’amant de Mme d’Epinay, qui parle longuement de lui dans ses Mémoires. Tous ces noms nous transportent en plein XVIIIe siècle, dans le centre même du monde philosophique et littéraire de ce temps-là ; et si l’on ajoute l’influence des milieux à celle de l’hérédité, on voit aisément comment un grand génie d’écrivain a pu sortir d’une pareille souche. Du mariage dont nous venons de parler entre la fille naturelle du maréchal de Saxe et Dupin de Francueil naquit Maurice Dupin, le père de George Sand, brillant officier, charmante nature, écrivain excellent, et dont les lettres remplissent le premier volume des Mémoires de sa fille. Sans parler maintenant de la descendance maternelle, sur laquelle Mme Sand donne des détails auxquels nous renvoyons, on ne peut méconnaître que cet ensemble de faits fournit en partie l’explication des traits caractéristiques de notre grand écrivain : le goût du romanesque qu’elle a toujours porté même dans la vie réelle, le goût du théâtre, l’aspiration aux grandes choses où se montrent ses origines royales et chevaleresques, la tradition de génie qui de la guerre passe à la plume, la fougue des passions, la gaîté aussi et le goût de la camaraderie, le tout mêlé à la grande crise du XIXe siècle, a produit ce génie complexe, tout d’imagination et de passion, qui est, comme en raccourci, l’image de toute sa race.