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sûr, s’il y a une Providence, elle doit se manifester dans la série des événemens humains. Et cependant nul historien aujourd’hui, pas même le plus pieux et le plus chrétien, n’aurait l’idée de faire intervenir le nom et l’action de Dieu dans l’histoire. On explique tous les événemens historiques par des causes secondes et profanes, souvent même par des conditions matérielles ou géographiques, par exemple lorsque l’on explique toute l’histoire de l’Angleterre par le fait que c’est une île : on fait intervenir des passions grossières, souvent des rencontres fortuites ou des besoins physiques ; comme lorsqu’on explique les invasions des barbares par la nécessité de trouver la nourriture. Pas un historien ne dira aujourd’hui, dans un livre sur les origines de la France, que c’est Dieu qui a poussé les barbares en avant, comme l’a dit Salvien dans le De gubernatione Dei. On se ferait même un scrupule religieux de prononcer le nom de Dieu dans les bas événemens de l’histoire, comme si l’on disait, par exemple, que c’est Dieu qui voulut que l’abbé Dubois fût nommé cardinal, que la Du Barry entrât dans la couche du roi. Que répondrait donc l’historien à celui qui lui dirait : « Eh quoi ! vous ne prononcez jamais le nom de Dieu ; vous ne parlez jamais de la Providence : votre science est une science athée ? » Nos historiens, aujourd’hui, seraient bien étonnés d’une telle objection. C’est cependant la même que l’on fait, à la psychologie physiologique lorsqu’on lui reproche de ne pas parler de l’âme, de la liberté, de la personnalité, et de ne connaître que les conditions physiques des phénomènes, quoique ce soit cependant le seul problème qu’elle prétende résoudre.

En général, toutes les sciences qui étudient les conditions nécessaires à un développement plus élevé peuvent être appelées, en quelque sorte, matérialistes par rapport à des sciences supérieures. Elles le sont certainement dans le sens d’Aristote, pour qui la matière n’est autre chose que la base sur laquelle vient s’édifier et à laquelle vient s’ajouter une forme nouvelle ; et c’est encore une question en métaphysique de savoir s’il y a une autre matière que celle-là. Dans ce sens aristotélique, la chimie est matérialiste par rapport à la physiologie ; la physiologie l’est aussi par rapport à la psychologie. L’économie politique est matérialiste par rapport à la morale, la géographie par rapport à l’histoire, et l’histoire elle-même par rapport à la théodicée. On voit que la psychophysiologie est dans la même condition que les autres sciences. En elle-même, elle est moins matérialiste que la physiologie proprement dite, parce qu’elle ajoute un élément que ne connaît pas la physiologie, à savoir la conscience ; mais elle l’est plus que la psychologie proprement dite, qui étudie la conscience elle-même et en elle-même.