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vieux français, à en croire les dictionnaires. Écossais, Stevenson l’est encore, — il l’a prouvé depuis, — par le sentiment du fantastique, le goût du surnaturel, la préoccupation des lois morales, des problèmes philosophiques, et par je ne sais quelle gaîté morose, grim humour, qui déconcerte et qui attache à la fois. Mais il est, en même temps, cosmopolite, Parisien du boulevard, Américain du Far-West, comme le montrent ses spirituelles notes de voyages. Sa vie errante a formé une personnalité très curieuse, très moderne et franchement excentrique, qui apparaît à travers une série de productions d’inégale valeur, mais dont aucune n’est banale. M. Stevenson a bien vu tous les pays dont il parle, soit qu’il nous présente les Squatters du Silverado, soit qu’il nous invite à glisser lentement, à bord de son Aréthuse, sur les canaux de la Belgique et de la France, soit qu’il s’arrête pour deviser familièrement avec ses amis les peintres de Barbizon, sous les ombrages de la forêt de Fontainebleau. Ici ou là, il rend son impression d’un trait net et précis. Point de longueurs, point de remplissage inutile. Aucun de ses ouvrages, en dépit de certaines exigences des éditeurs anglais auxquelles il a refusé énergiquement jusqu’ici de se soumettre, n’a plus d’un volume ; la concision, la clarté incisive, une grande simplicité, sont les qualités maîtresses de son style. Sceptique et railleur, il réussit à nous captiver sans avoir jamais recours à l’élément sentimental, et touche parfois des questions hardies sans tomber dans ce qu’on est convenu d’appeler l’immoralité, bien qu’il ne se soucie guère de nous montrer des personnages vertueux et qu’il ait le talent pervers d’exciter notre sympathie en faveur d’individualités tout au moins équivoques. Réussir, avec de pareilles tendances, à collaborer aux bibliothèques d’éducation et de récréation, c’est la preuve d’une souplesse peu commune ; après avoir assuré son empire sur des milliers de jeunes lecteurs dans l’ancien et dans le Nouveau-Monde, M. Stevenson paraît s’être dit : — voyons si les vieux seront plus difficiles, s’ils ne mordront pas, eux aussi, à l’hameçon des contes bleus ? — Et il lança ses Nouvelles Mille et une Nuits, où la féerie se met au service de la réalité par un procédé ravi à miss Thackeray. Combien de fois les talens à fracas ont-ils profité des trouvailles faites par quelque talent plus modeste ! C’est miss Thackeray qui a dit la première : « Les contes de fées sont partout et de tous les jours ; nous sommes tous des princes et des princesses déguisés, ou des ogres, ou des nains malfaisans. Toutes ces histoires sont celles de la nature humaine, qui ne semble pas changer beaucoup en mille ans, et nous ne nous lassons jamais des fées parce qu’elles lui sont fidèles. » Seulement, l’auteur de Five old friends place dans un milieu bourgeois de nos jours la Belle au Bois dormant, Cendrillon, la Belle et la Bête, le Petit