Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/564

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quartier que fréquente l’odieux Hyde. Longtemps il attend en vain ; mais, certain soir, vers dix heures, les boutiques étant closes et la rue silencieuse, au milieu du sourd mugissement de Londres, un pas retentit rapide, un homme de petite taille apparaît, tire une clé de sa poche et se dirige vers la maison indiquée.

— M. Hyde ? lui dit le notaire en posant la main sur son épaule. L’homme tressaille et recule, mais sa terreur n’est que momentanée. Reprenant aussitôt de l’empire sur lui-même, il répond : — C’est mon nom, en effet ; que me voulez-vous ?

— Je suis un vieil ami du docteur Jekyll ; on a dû vous parler de moi : M. Utterson. Faites-moi une grâce : laissez-moi voir votre visage.

L’autre hésite, puis, après réflexion, se tourne d’un air de défi.

— Maintenant je vous reconnaîtrai, dit Utterson. Cela peut être utile.

— Oui, répond Hyde, il vaut mieux que nous nous soyons rencontrés… A propos, vous avez besoin de savoir mon adresse. Et il lui indique une rue, un numéro.

— Mon Dieu ! se dit le notaire, est-il possible qu’il ait, lui aussi, songé au testament ? ..

— Comment, ne m’ayant jamais vu, avez-vous pu me deviner ? reprend Hyde.

— D’après une description. Nous avons des amis communs.

— Lesquels ? balbutie Hyde.

— Jekyll, par exemple.

— Il ne vous a jamais parlé de moi, s’écrie l’autre en rougissant de colère. Vous mentez.

Là-dessus, il a poussé la porte et disparu dans la maison, laissant Utterson stupéfait.

Ce nain blême, au sourire timide, et cynique à la fois, est certainement fort laid, pense le notaire, mais sa laideur ne suffit pas à expliquer la répulsion insurmontable que suscite sa présence. Il faut qu’il y ait quelque chose en outre. Serait-ce qu’une âme noire peut transparaître ainsi à travers son enveloppe de chair ? Pauvre Jekyll ! Si jamais j’ai lu la signature de Satan sur un visage, c’est sur celui de ton nouvel ami.

En tournant la rue, on arrive devant un square bordé de belles maisons, dont plusieurs sont déchues de leur rang d’autrefois, divisées en appartemens, en bureaux, en magasins. L’une d’elles, cependant, devant laquelle s’arrête Utterson, a gardé un grand air d’opulence. Un vieux domestique vient ouvrir.

— Poole, lui dit Utterson, le docteur Jekyll est-il chez lui ? Sur sa réponse négative :

— Je viens de voir M. Hyde s’introduire par la porte de