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pieds, et poings liés, dans une pirogue, était livré à la merci des flots, brûlé par les rayons ardens d’un soleil tropical, soupirant après une mort trop lente.

Le rang et les dignités des chefs étaient héréditaires, mais se transmettaient par les femmes. Le ventre anoblissait. La veuve succédait à son mari, la première en date du moins, car la polygamie était pratiquée par les chefs, comme la polyandrie par les chéfesses.

A l’époque dont nous parlons, le paganisme atteignait son apogée. Comparativement simples au début, les rites religieux n’offraient plus qu’un mélange confus de pratiques bizarres ou cruelles, dont la signification primitive se perdait dans la nuit du passé. Des cérémonies sanguinaires, des restrictions imposées par les chefs et les prêtres formaient un ensemble religieux qui ne reposait que sur l’aveugle superstition du peuple. Un dieu naissait de chacune de leurs terreurs, dieux tyranniques et capricieux, gouvernant sans merci, une population sans règle morale. Pelé, déesse des volcans, bouleversait le sol, engloutissait les villages et semait sur son passage la stérilité et la mort. Derrière elle marchaient Kamohoalii, dieu des vapeurs pestilentielles ; Kailii, dieu de la guerre ; Keuakepo, dieu des pluies de feu. Toujours prêts à diviniser les objets de leurs craintes, ils peuplaient, la terre et la mer de dieux implacables.

On retrouve dans leurs traditions des notions vagues de la création du monde, d’un déluge ; mais ils n’avaient ni la croyance simple et nette des Indiens de l’Amérique à l’existence d’un grand Esprit, maître souverain des cieux et de la terre, ni l’idée païenne d’un Dieu maître des dieux, trônant, comme le Zeus antique, dans l’Olympe soumis à ses lois. Aucune idée philosophique ne se dégageait plus du chaos informe de leurs superstitions.

Les chants indigènes mentionnent les noms de soixante-quatorze chefs indigènes prédécesseurs de Kaméhaméha. Né en 1760 environ, il n’avait que dix-huit ans lorsque, le 19 janvier 1778, Cook relava l’île de Kauaï, la plus au nord du groupe. Ce ne fut qu’un an après, le 17 janvier 1779, qu’il mouilla dans la baie de Kealakekua, où il devait trouver, la mort dans les circonstances tragiques que son biographe Ledyard a racontées.

Le récit de Ledyard ne concorde pas sur tous les points avec les traditions indigènes ! La traduction suivante d’un vieux chant kanaque expliquera tout d’abord, ce qu’ignorait Ledyard, comment et pourquoi, à son arrivée dans ces îles, Cook fut salué par les indigènes du nom de Lono et reçut d’eux, par suite de cette erreur, les honneurs qu’ils n’accordaient qu’aux divinités.

« Lono, chef d’Havaï, habitait avec sa femme à Kealakekua. Cette femme, belle à voir, et son unique amour, se nommait Kaikilani.