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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/595

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Notre chef intervint et leur dit de ne pas faire cela ; ils rirent et continuèrent. Pendant que Kalaimano leur parlait, Lono arriva, franchit l’enceinte sacrée et se dirigea vers le moraï. Kalaimano se mit devant lui, et Lono l’écarta. Notre chef, alors, prit Lono dans ses bras pour l’empêcher d’avancer et le porter hors de l’enceinte ; mais Lono se débattit, et Kalaimano, le serrant fortement, lui fit pousser un cri de douleur. « Il crie, ce n’est donc pas un dieu, » dit le chef, et il tua Lono. Ceux qui démolissaient l’enceinte s’enfuirent alors ; mais, sur l’ordre de Kalaimano, plein de colère, nous nous jetâmes sur eux ; et, chose étrange ! ceux que nous frappions tombaient et leur sang coulait, rouge comme le nôtre. Ceux qui étaient dans les canots s’éloignèrent hors de la portée de nos flèches et de nos pierres, et lancèrent sur nous un feu foudroyant, avec un bruit comme celui du tonnerre. Tous les Kanaques que ce feu touchait tombaient, et leur sang s’en allait sans qu’on pût voir ce qui avait brisé leur chair. Les hommes de la suite de Lono, restés à bord des îles flottantes, entendant ce bruit, dirigèrent sur nous d’autres tonnerres plus terribles encore et dont le bruit nous assourdissait. Kalaimano se tenait sur la plage, lançant de son arc puissant des flèches qui ne pouvaient atteindre ses ennemis. Ses serviteurs se tenaient près de lui ; l’un d’eux couvrit la poitrine du chef d’une natte que les autres arrosaient d’eau pour empêcher le feu de le brûler ; mais qui peut lutter contre les dieux ? Atteint du feu invisible qui traversa sa natte humide, Kalaimano tomba, jetant le sang par la bouche.

« Beaucoup d’autres restaient morts sur la plage. Aucune prière, aucun sacrifice ne purent fléchir les dieux et obtenir d’eux la vie de notre chef. Le lendemain, les îles flottantes avaient disparu sans que l’on pût dire où elles étaient allées, et Kalaimano était mort.

« C’est ainsi, ô fils de Kealakekua, que les Kanaques, vos pères, virent mourir le même jour leur dieu et leur chef. »


II

Deux ans après le meurtre de Cook, en 1780, un des chefs de Havaï. Kalaniopuu, chef de Kau, district pauvre et dévasté par les éruptions volcaniques, mourut, et son fils Kiwalao lui succéda. Ainsi que son père, il convoitait la terre voisine, Kona, héritage de Kaméhaméha, alors âgé de vingt ans. Abrité des vents alisés par la haute montagne de Mauna-Loa, ce district, l’un des plus fertiles de l’île, était surtout renommé pour ses pêcheries. Sous prétexte de rendre les derniers devoirs à son père, Kiwalao convoqua tous ses guerriers à s’embarquer avec lui sur une flottille de pirogues de guerre, dans l’intention, disait-il, de se rendre à Kailua, la ville