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autre point de la côte. On dirait plutôt qu’il se fait une sorte de roulement de ces bancs par le large, roulement qui serait incessant. Ils arrivent, s’en vont ; d’autres viennent, et ainsi de suite.

Quelquefois, dans les bancs de sardines, le poisson est « mêlé » Généralement il y est d’une taille uniforme, mais qui diffère considérablement d’un banc à l’autre. Il n’y a aucune règle ni aucune prévision possible. Les pêcheurs emportent toujours avec eux des Mets de plusieurs « moules. » Nul ne saurait dire le dimanche la taille du poisson qu’il pêchera le jeudi : s’il sera plus gros ou plus petit. Ce qu’on peut prévoir presque à coup sûr, c’est qu’il sera différent.

La sardine de dérive a quelquefois les organes de la génération bien développés et semble prête à se reproduire. La sardine d’été, même la plus grosse, n’a jamais les flancs arrondis qui annoncent chez les femelles des poissons la ponte prochaine. L’examen des ovaires ne laisse d’ailleurs aucun doute. La sardine de rogue est une bête jeune et n’a jamais frayé.

La sardine, comme beaucoup d’animaux de la mer, se nourrit de ce qu’elle trouve, mais toujours de proies très petites. Ce sont ordinairement des crustacés, des embryons presque microscopiques de mollusques et de vers, ou encore des végétaux infiniment plus petits dont les eaux de l’océan sont parfois remplies, au point de prendre une couleur spéciale. Dans l’intestin de sardines pêchées à la Corogne, on a trouvé jusqu’à 20 millions de ces algues microscopiques qu’elle avale dans les mouvemens mêmes que tout poisson fait pour respirer.

Voilà, sans plus, ce qu’on sait de certain de la sardine. On prête à Laplace cette boutade que, si on l’avait enfermé dans une tour, avec une seule fenêtre ouverte au midi, il eût fait sa Mécanique céleste. C’est la fortune et la gloire des sciences exactes que ces déductions nécessaires et ces rattachemens forcés de ce qui est caché à ce qu’on peut observer. La biologie n’a pas de tels privilèges. Même dans les détails de l’organisation de deux espèces en apparence voisines, on constate parfois des écarts inattendus. Ainsi les zoologistes, avons-nous dit, rangent l’une près de l’autre la sardine et l’alose ; cependant les tissus de celle-ci supportent sans inconvénient le contact de l’eau des fleuves où elle remonte pour frayer, et celui de l’eau de mer où elle vit le reste de l’année, tandis qu’une sardine mourrait tout de suite dans l’eau douce. A plus forte raison, les mœurs, les instincts de deux espèces presque semblables peuvent-ils différer considérablement : ici aucune déduction légitime, mais seulement de vagues probabilités. Ce que nous savons de l’alose, du hareng beaucoup mieux connu, nous renseigne mal sur la sardine. Nous pouvons dire qu’on ignore tout