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et l’eau. Sous un grand hangar, les leviers s’alignent, retenus par l’extrémité à une barre fixée dans le sol, et chargés à l’autre bout d’une pierre pesante. La sardine peu à peu se tasse dans les bans ; on en remet de nouvelles, et, quand ils sont pleins, on serre les douves, on ferme, et il ne reste plus qu’à expédier dans les campagnes, les cités populeuses, les pays relativement pauvres, où la sardine en boite est un luxe. Le bénéfice le plus grand peut-être est l’huile qui a coulé des barils dans des rigoles soigneusement aménagées et de celles-ci dans un réservoir. Après une épuration sommaire, elle sert à la préparation des cuirs et à divers usages pour lesquels l’huile de poisson est spécialement recherchée.

En France, on fait encore avec la sardine une préparation dans la saumure, à laquelle on ajoute des épices et un peu de terre d’ocre pour la colorer. C’est la sardine dite « anchoitée. » Quant à la sardine vendue pour la consommation immédiate, elle est expédiée en demi-sel ; autrement elle ne se conserverait pas. De toutes les matières premières, la sardine est peut-être celle dont la valeur intrinsèque diminue le plus vite avec les heures, beaucoup plus vite que la viande, les fleurs, les autres poissons.

Mais les quantités de sardines vendues a en vert » ou anchoitées sont très peu de chose à côté de la sardine mise en boîtes. Jusqu’en ces dernières années, plusieurs pêcheurs ou petits commerçans avaient encore chez eux des presses et réalisaient quelque bénéfice quand le poisson tombait à bas prix. Cette modeste fabrication a à peu près disparu devant le nombre croissant des usines sur nos côtes ; on en compte aujourd’hui plus de cent. Par suite, les conditions économiques de la pêche se sont profondément modifiées. Le prix du mille de sardines ne dépend plus seulement de la rareté et de la qualité du poisson, mais aussi des besoins des fabriques, qui peuvent avoir de lourds engagemens. Pendant la dernière campagne (1887), les prix ont oscillé de 3 francs à 50 francs le mille (à Audierne). Depuis plusieurs années, la situation est désastreuse pour la fabrication de la sardine à l’huile, qui a dû payer le poisson très cher. Les pêcheurs ont cru dès lors qu’ils pourraient toujours vendre le mille à ces prix élevés, et se prétendent lésés s’il ne les atteint pas. Pendant ce temps, l’Amérique mondait les marchés du monde entier avec ses produits, qui n’ont de la sardine que le nom. Et du même coup, pour comble d’infortune la France perdait le monopole de la fabrication honnête. Plusieurs usines s’étaient installées sur la côte portugaise et nous faisaient une rude concurrence, achetant à bas prix de grandes quantités de poisson prises avec les filets perfectionnés. Il y a une légende sur l’origine de cette industrie rivale. Les plus hardis marins de la côte bretonne sont les gens de l’île de Groix, les