Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/671

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nouveaux désordres. C’est alors que l’administration de la marine annonça qu’elle allait aviser. Son rôle était tout tracé : quand elle n’aurait pas partagé les préjugés de ses « inscrits » sur l’emploi des seines à sardines, il suffisait que la majorité de la population maritime en réclamât l’interdiction, pour que cette mesure, même avec les inconvéniens, avec les suites fâcheuses qu’on pouvait entrevoir pour l’industrie, devînt une mesure presque nécessaire.

La grande seine à sardines est un immense filet flottant, en demi-sac, ouvert d’un côté au moyen d’une coulisse, fermé par le bas. La ralingue, garnie de lièges, dessine à la surface de la mer une grande ligne courbe, aux extrémités marquées par deux barils flottans. Deux barques, gardant leurs distances, maintiennent le filet ouvert, tandis qu’une troisième, au milieu, jette un peu d’appât pour attirer le poisson. Quand on juge le moment venu, la coulisse est vivement tirée, et la seine devient une immense poche d’où rien ne peut plus sortir. On la rétrécit peu à peu, et, finalement, on enlève à pleins paniers tout le poisson en vie, qu’on jette dans la barque, palpitant, comme un flot métallique. On prend ainsi beaucoup plus de sardines qu’avec l’ancien filet et on économise la rogue : double avantage.

Le gouvernement a prononcé. Les seines à sardines sont désormais interdites dans toute l’étendue des eaux françaises. La majorité des pêcheurs s’en applaudit. En certaines localités, la joie n’a pas eu de bornes : on a illuminé ; mais les fabricans, de leur côté, se demandent si le dernier coup n’a pas été porté à leur industrie, déjà bien menacée, et dont la ruine définitive entraînerait à son tour la misère des pêcheurs. Déjà le marché tendait à se déplacer : il est à craindre que la lutte avec l’étranger devienne encore plus difficile, sauf pour quelques maisons de premier ordre, dont la marque fait prime dans le monde entier. C’est la fabrication moyenne, la fabrication courante, qui est compromise. Aussi les chefs d’usine étaient-ils en général partisans des seines, des moyens de pêche perfectionnés permettant de prendre beaucoup de poisson et de l’avoir à meilleur compte.

Il faudrait encore savoir si ceux qui combattaient les seines, n’ont pas dépassé le but ; si tous les griefs articulés contre les seines à sardines ne seront pas un jour retournés contre les seines à sprats, contre la drague et le chalut, enfin contre tous les arts traînans qui font vivre le pêcheur en hiver. Le décret de 1862, rendu sous l’inspiration de Coste, avait inauguré dans nos règlemens de pêche un système de liberté très grande. Cette liberté, il semble qu’on tende à la restreindre chaque jour davantage, et chaque fois dans le dessein de protéger le poisson. L’interdiction des