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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/673

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sardines, toujours tissée d’un fil très fin, et qui n’est ni lestée, ni même traînée. Le pêcheur est le premier à redouter que son filet touche le fond. La plus petite pointe de roche, la moindre épave coulée va le déchirer comme un clou ravage une dentelle, et c’est un accroc de vingt brasses qui se fait de la sorte et qu’il faut réparer avant de continuer la pêche, — quand le filet n’a pas été fendu de bout en bout. La vérité est que, sous le poids léger de la seine, les goémons plient simplement la tête, comme pour mieux protéger toutes les générations d’êtres que l’imagination fait vivre dans leurs dures frondaisons. Car les pêcheurs se trompent encore quand ils prétendent que « l’herbier » vert, ces plaines sous-marines où les anciens croyaient revoir le gazon de l’Atlantide submergée, sont le refuge de beaucoup d’animaux. Elles en abritent fort peu ; fort peu y déposent leurs œufs. La vie intense, la vie prodigieuse par le nombre et la variété des espèces, par les pontes de toutes sortes, c’est dans les massifs rocheux qu’elle s’abrite, dans les fissures et sous les pierres, dans tous les fonds accidentés dont se garde le pêcheur, par crainte d’y laisser son chalut.

On a dit encore, — et que n’a-t-on pas dit ? — que le bruit des anneaux de la coulisse, quand on clôt la seine pour « faire le sac, » mettait le poisson en fuite : c’est supposer que des pêcheurs, qui ne comptent pas parmi les moins fortunés et les moins habiles, vont se faire à plaisir les victimes d’un mauvais procédé de pêche… et y persister. Car on en est arrivé à l’enfantillage dans cette campagne menée contre les filets perfectionnés. Il est certain qu’un bruit, même faible, peut effrayer la sardine ; mais il y a loin de là à la chasser sans retour. Et, d’ailleurs, les bancs ne se succèdent-ils pas d’un jour à l’autre dans leur roulement continu ? Pour un de parti, deux reviennent. Il y a quelque vingt ans, les pêcheurs de pilchards, aux environs de Falmouth, sur la côte de Cornouailles, ayant éprouvé, eux aussi, une série de mauvaises années, prétendirent que des essais d’artillerie faits dans le voisinage étaient la cause du mal et avaient pour toujours éloigné la sardine. A Concarneau, la saison suivante, un pêcheur, renchérissant, soutint que, si la sardine devenait moins abondante dans la baie, la faute en était aux tirs d’épreuves qu’on fait à Gavres, près de Lorient, à douze lieues de là, et il voulait qu’on déplaçât le polygone de l’artillerie. L’artillerie n’en a rien fait, elle a eu bien raison. On raconte qu’au sein d’une commission où des pêcheurs furent appelés à donner leur avis sur l’emploi des seines à sardines, après que celles-ci avaient été unanimement condamnées comme détruisant le poisson, chassant celui qu’elles ne prennent pas, ruinant le fond et causant bien d’autres méfaits encore, la question se pose de savoir s’il ne convenait pas d’étendre la même proscription aux seines à