Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/675

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

revenu annuel qu’il tire de la mer. C’est surtout le maquereau, la sardine, qui lui rapportent. Là, comme toujours, la matière première utile au plus grand nombre, abondante, à bon marché, est la plus précieuse : la morue de l’Atlantique du nord est une bien autre richesse que toutes les huîtres perlières de l’archipel indien.

Quant à protéger la sardine, elle n’en a que faire, autant que la morue ou le hareng océanique. Les Portugais l’ont bien compris, qui la pêchent par les moyens les plus perfectionnés, dont nous ne voulons pas en France, et sans nul souci d’anéantir les bancs qui passent à leur portée. Ils savent qu’ils ne les reverront jamais, que tout ce poisson, s’il n’est pris, sera décimé par ses ennemis naturels, ou bien, ce qui est pis, s’en ira tomber dans les filets de la nation voisine pour l’enrichir de tout ce qu’ils auront laissé échapper.

Telle est la situation présente de l’industrie de la sardine en France. Tout ce qu’on peut espérer, c’est que, pendant deux ou trois ans, on n’en sentira pas trop les rigueurs. Ces apparitions de la sardine sur nos côtes, dans leur irrégularité même, ont certaines lois ; on peut établir des probabilités. Il paraît que le régime de la sardine, en 1887, a offert de frappantes analogies avec celui de 1853 : en cette année-là, on avait vu de même d’innombrables bancs de petites sardines, et les deux années suivantes furent très bonnes. Il est permis, dans une certaine mesure, d’espérer qu’il en sera ainsi cette fois. Mais si l’avenir prochain ne nous donne que demi-alarme, il faut s’attendre ensuite au retour des mauvaises années ; il faut, dès à présent, envisager les conditions de la lutte entre notre industrie et l’industrie étrangère : celle-ci libre de s’alimenter de la matière première qu’elle emploie, à bas prix, grâce aux filets perfectionnés, tandis que nos fabricans devront payer plus cher le poisson capturé avec l’ancien filet, avec la rogue et tous les vieux procédés. Il y a là, pour demain, des difficultés dont il importe, croyons-nous, de se préoccuper dès aujourd’hui. Quant à la science, elle a rendu son arrêt. Il n’est peut-être pas définitif en tous les points et pourra être infirmé dans quelque détail ; mais il est très net sur le fond. Il prononce qu’on ne dépeuple point l’océan ; que tous les efforts de l’homme, armé de tous les engins imaginables, ne sauraient influencer l’équilibre d’une espèce animale de la taille de la sardine, vivant dans la haute mer. On peut affirmer qu’il y aura encore autant de sardines qu’aujourd’hui, quoi qu’on fasse, à l’époque calculée pour l’épuisement total des mines de houille en Europe. Nous n’avons donc pas à nous préoccuper de sa disparition. Pour la sardine comme pour la morue et le hareng océanique, la seule règle qui convienne devrait être d’en prendre le plus qu’on peut et comme on peut.


G. POUCHET.