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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/692

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se dérobe. Quand vient l’évanouissement de Laurence, et la révélation de ce que nos pères eussent appelé ses charmes ou les attributs de son sexe, devant cette apparition foudroyante de la beauté et de l’amour, d’un amour à la fois souhaité et défendu, devant ce double assaut livré à l’âme de Jocelyn par la joie et l’épouvante, rien ou presque rien : un cri pareil à tous les cris et un maigre duo qu’un pauvre unisson termine. Pourtant ils étaient beaux à chanter, ces jours d’amitié, puis ces jours d’amour. Il eût été beau de trouver la musique de cette pure, de cette idéale poésie, d’égaler à la fois la hardiesse et la chasteté de ces récits. Il y avait là des trésors de sentiment, et des trésors nouveaux. Quel dommage qu’on ne les ait pas découverts !

La grande scène de la prison, entre Jocelyn et l’évêque, voulait du musicien autant d’éloquence que les scènes précédentes voulaient de poésie. Qu’on la relise dans Lamartine pour voir quelles foudres lançait au besoin ce poétereau de femmes, ce chantre de cascatelles et de rossignols, comme disent aujourd’hui quelques jeunes pédans. Jamais fanatisme plus odieux n’a tenu plus sublime langage. Quels discours sur ces lèvres et quelle flamme de bûcher dans ces yeux ! Du haut de quel dédain le vieillard qui va mourir regarde nos passions humaines ! A quel misérable prix il estime nos plus précieuses amours ! Le lecteur même est près de céder à ses paradoxes sacrés, de subir comme Jocelyn sa brutalité sainte. Dans ce duo si difficile par sa violence et par sa grandeur, le musicien n’a réussi qu’à demi. Le style, toujours soutenu, s’élève parfois, comme à ces mots : Demain j’entonnerai l’hosanna triomphant ! Souvent le mouvement est juste et la phrase bien jetée ; mais souvent aussi l’un et l’autre traînent, ici, par exemple : Je vais vous consacrer sur le bord de la tombe. Décidément, Jocelyn pourrait bien être tout à fait inabordable à la musique.

Le tableau populaire autour de la guillotine fait grand honneur au sens pittoresque des directeurs, à leur entente de la scène : voilà bien la rue sur le théâtre, les physionomies et les voix de la canaille. Mais de la musique, j’attendais mieux. Les différens refrains révolutionnaires : Carmagnole, ça ira, et quelques autres, se succèdent et se juxtaposent au lieu de se fondre ; c’est de la polyphonie, mais de la symphonie, non pas. Quelques bons détails cependant, entre autres une courte prière de femmes à genoux sous la bénédiction du condamné.

Patience, voici les dernières pages de la partition, les meilleures. Dans la grotte des aigles, où nous ramène le sixième tableau, Laurence abandonnée chante un lied charmant : Dors en paix, mon amour, une page toute pleine de tendresse et d’inquiétude. Voilà une phrase distinguée et expressive, rehaussée par des contre-chants d’orchestre, et