Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/702

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Ma pensée et sa vieille attache ;
Il couve en ma joie un tourment,
Car sous l’objet le plus charmant,
Je veux savoir ce qu’il me cache.


S’arrachant donc à l’amour, Faustus repasse d’abord en sa mémoire, avant d’oser sonder lui-même le problème, les leçons de la sagesse humaine. Voici les Grecs, Thalès et Pythagore, Aristote et Platon, Épicure et Zénon, avec Lucrèce à leur suite ; — le seul Romain qui peut-être ait jamais pensé. Voilà les docteurs de la scolastique, saint Anselme et Abélard, saint Thomas et saint Bonaventure, les premières et non pas les moins mémorables victimes du combat de la raison et de la foi. Voici les modernes en foule, Bacon, Descartes, Malebranche, Bossuet, Fénelon, Pascal, Leibniz, — ceux dont le regard, pour y atteindre l’être, a essayé de percer les profondeurs du monde ; et ceux qui, moins ambitieux d’abord, mais presque plus hardis dans la suite, ont fouillé l’âme humaine pour y surprendre le secret de l’univers : — Berkeley, Hume, Rousseau, Kant, Fichte, Schelling, Hegel, Schopenhauer. Et voilà les savans à leur tour, Descartes et Pascal encore, voilà Leibniz, voilà Newton, Copernic, Galilée, Kepler, les physiciens et les chimistes, les physiologistes et les naturalistes, Lavoisier, Bichat, Buffon, Lamarck, Darwin… Hélas ! ni les uns ni les autres n’ont trouvé la parole magique, le vrai nom de la cause d’où pend à l’infini l’enchaînement des effets. Ils ont seulement reculé les bornes de l’ignorance, mais en changeant la forme des problèmes, ils n’en ont pu transformer la nature, qui est de résister aux efforts de l’humaine raison. Et en nous apprenant ce que nous pourrions si bien nous passer de savoir, il est malheureusement trop vrai que de tout ce qu’il nous faudrait savoir, ils ne nous ont rien appris. D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? Dans ce « petit cachot où nous sommes logés, j’entends l’univers, » comme disait Pascal, qu’y faisons-nous ? A quelles fins inconnues servons-nous ? Pourquoi la mort ? pourquoi la vie surtout ? De quelle tragédie sommes-nous les acteurs ? De quelle comédie les dupes, ou peut-être de quelle farce ? Ni la philosophie ni la science ne nous l’ont dit encore ; elles ne nous le diront jamais ; si même et au contraire, en nous convainquant tous les jours plus profondément de la vanité de la recherche, elles ne doivent aboutir à établir enfin, sur les ruines de l’espérance, la certitude du néant.


Ainsi Faustus, ayant dépassé tour à tour
Les monumens épars des humaines doctrines
Et vu s’évanouir, au bout de leurs ruines,
Le fantôme du vrai vainement poursuivi,
Laisse enfin retomber son front inassouvi,
Que bat l’aile du doute, assuré de sa proie.