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surtout d’apprendre à cette foule de souffrans, — eux qui reviennent du pays d’où personne jamais n’est revenu, — que la vie se continue, qu’elle se purifie, et qu’elle s’achève ailleurs.

Mais pourquoi la Mort s’est-elle arrêtée ? Que tarde-t-elle encore ? et, suspendue ainsi au-dessus de la Terre, pourquoi n’y aborde-t-elle pas ? C’est que, depuis qu’ils ont quitté leur humaine dépouille, tant de jours ont passé, tant de siècles ont coulé, dont ils ne savaient plus mesurer la chute insensible, que, de la face de cette planète où il avait tout asservi sous la loi de son orgueil, le dernier Homme a disparu. Des mers, des plaines, des forêts, quelques ruines, et, au milieu d’elles, rendue à elle-même par la mort de l’homme, la Nature en liberté, c’est maintenant la Terre. Faustus et Stella se consultent. Trop tard ! ils ont trop attendu ! Si cependant ils l’osaient ! s’ils rouvraient à une humanité nouvelle le champ de la souffrance, de l’épreuve et de la vertu ! Faustus hésite, car, avec la souffrance, le mal aussi va renaître, le désespoir avec l’épreuve, et le crime avec la vertu ! C’est Stella qui l’encourage ; à l’approche de la Terre, le besoin de souffrir et de se dévouer s’est réveillé plus impérieux dans la chair de la femme. Allons ! Faustus,


Que mon flanc se déchire et qu’un Abel en sorte ;


recommençons l’existence ancienne ; et toi, ô Mort ! redescendons.


….. La suprême Berceuse
Sans bouger, sur son aile ouverte et paresseuse,
Attend, le regard fixe au fond des cieux rivé,
Un ordre souverain qui n’est pas arrivé…
……
Dans l’azur, un silence immense et solennel
Semble épier l’arrêt de l’Arbitre éternel…


Mais ce n’est qu’un moment, et reprenant brusquement son vol vers les hauteurs, la Mort les enlève à la Terre, et, d’une course vertigineuse, montant jusqu’au zénith, elle les dépose, encore « étonnés du départ, » dans le suprême et entier Paradis. Car c’est assez, pour être mis au nombre des élus, qu’ils n’aient point hésité devant le dernier sacrifice ; et, dégagés désormais de toutes les attaches qui les retenaient encore à la condition humaine, ils ont mérité d’entrer, pour avoir eu plus de pitié des autres que d’eux-mêmes, dans le sein de la paix, dans le midi de la lumière, et dans la gloire du triomphe éternel.

Telle est, dans son ensemble, la conception de ce beau poème, dont nous nous dispenserons de discuter ici la valeur philosophique, le poète nous ayant de lui-même avertis que « nous serions déçus