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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/810

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plus longtemps embarrassans qu’une intervention ouverte avec 20,000 hommes. Cette armée défaite, la dernière espérance des Arabes s’évanouirait, et ils se résigneraient. » Voilà, en quatre lignes, tout le programme de la campagne d’Isly.

Cependant, la diplomatie était sur le qui-vive. Dès le 27 décembre 1843, le consul-général de France à Tanger, M. de Nion, avait adressé, par ordre de M. Guizot, à l’empereur Abd-er-Rahmane une note réclamant « l’adoption franche et loyale des mesures qui pouvaient seules, en mettant fin à une pareille situation, assurer le maintien des relations pacifiques entre les deux états. » Très perplexe et pour gagner du temps, l’empereur n’avait imaginé rien de mieux que d’interdire au consul-général de correspondre directement avec lui et de le renvoyer au pacha de Tanger pour les négociations de toute espèce.

Vers le même temps, l’interprète principal de l’armée d’Afrique, M. Léon Roches, qui avait, en 1830, vécu dans la familiarité de l’émir, obtint du maréchal Bugeaud l’autorisation de se mettre en correspondance avec lui et de lui faire, entre autres propositions, celle de renoncer à la lutte et de se retirer à La Mecque, où le gouvernement français lui assurerait une grande et large existence.

Voici la réponse d’Abd-el-Kader : « Je peux accepter tout ce qui est d’accord avec ma loi et les prescriptions de ma religion, mais je refuserai tout ce qui serait en dehors de cette voie ; car m’sais que je tiens peu aux jouissances de cette vie, tandis que je suis prêt à combattre et à souffrir, tant que j’existerai, serais-je même seul, pour la gloire de ma religion. Les propositions que tu me fais sont vraiment éloignées de la raison. Comment toi, qui portais le titre de mon fils, toi qui, dans cette démarche, te dis guidé par une amitié sincère, comment as-tu pu penser que j’accepterais comme une grâce un refuge qu’il est à ma disposition d’atteindre avec mes propres forces et avec le secours des fidèles qui restent encore autour de moi ? Que les Français ne méprisent pas ma faiblesse ! Le sage a dit : Le moucheron remplit de sang et prive de la clarté l’œil du lion superbe. Si le maréchal a l’intention de me faire entendre des paroles qui soient dans l’intérêt de tous, qu’il envoie un de ses confidens avec des lettres de créance ; qu’il me fasse prévenir secrètement ; alors j’enverrai aussi secrètement un de mes amis, Bou-Hamedi, par exemple, qui devra se rencontrer avec son envoyé aux environs de TIemcen. Ils s’entendront ensemble sur les clauses à établir, sans prêter le flanc aux discours de l’envie et de la calomnie. Alors nous renouvellerons une alliance dont les bases solides seraient une sûre garantie d’une amitié et d’un accord durables. »

Ainsi, vaincu, errant, pauvre, mais indompté, Abd-el-Kader