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Dans le premier moment, il parvint à les faire reculer quelque peu ; mais presque aussitôt ils revinrent à la charge, et, pendant trois quarts d’heure, le kaïd, aidé de quelques chefs du maghzen, fit de vains efforts pour mettre un terme à cette abominable bagarre. Le général et les siens restaient calmes sous un déluge d’injures et de menaces. Pendant ce temps, le commandant de Martimprey, sous son frêne, était pareillement injurié et menacé.

Enfin, le calme ayant été à peu près rétabli, la conférence fut reprise. « Nous ferons un arrangement pour Abd-el-Kader, dit le kaïd ; nous nous consulterons pour qu’il quitte la frontière, pour qu’il aille au-delà de Fez, s’il le faut ; mais vous reconnaîtrez que la limite entre les deux états de Maroc et d’Algérie sera fixée par la Tafna. » El-Ghennaouï avait à peine prononcé le dernier mot que le général se récria : « Était-ce la Tafna qui faisait frontière au temps des Turcs ? — Du temps des Turcs, répliqua le kaïd, peu importait que des musulmans fussent entremêlés ; mais avec vous, chrétiens, la séparation que j’indique est nécessaire. » Et comme le général lui répétait que sa prétention était inadmissible : « Eh bien ! il n’y a rien de fait, ajouta-t-il. Si le refus est maintenu, je suis pressé, il faut nous retirer. — Mais alors, reprit Bedeau, si l’entrevue se rompt sans qu’aucune garantie nous soit donnée contre le retour des actes dont nous avons à nous plaindre, c’est donc la guerre ? — C’est la guerre, » répondit le kaïd.

Le général, sa suite et le commandant de Martimprey, qui les attendait au passage, se retirèrent sans hâte ; les balles marocaines sifflaient à leurs oreilles. Quand ils eurent rejoint les troupes, La Moricière donna l’ordre de retourner au camp ; mais le maréchal, averti, accourait avec quatre bataillons. A peine arrivé sur le terrain, il commanda : a Halte ! Face en arrière ! » fit former ses huit bataillons en échelons sur le centre, plaça la cavalerie dans l’angle, prête à déboucher sur les cavaliers marocains qui suivaient en tiraillant l’arrière-garde. En voyant la retraite changée en offensive, les Marocains essayèrent d’éviter la rencontre ; mais une charge vivement menée par le colonel Jusuf et le commandant Walsin Esterhazy les atteignit au passage de la Mouila. Cavaliers et fantassins sabrés laissèrent plus de 300 morts sur la place ; près du gué, les spahis élevèrent une pyramide de 150 têtes. Le soir venu, les troupes reprirent leur bivouac.

Le lendemain 16, le maréchal écrivit au kaïd qu’il allait marcher sur Oudjda : « J’aurais le droit, disait-il, de pénétrer au loin sur le territoire de ton maître, de brûler vos villes, vos villages et vos moissons ; mais je veux encore te prouver ma modération et mon humanité, parce que je suis convaincu que l’empereur Mouley-Abd-er-Rahmane ne vous a pas ordonné de vous conduire comme