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heures, s’il accepte la suspension d’armes que je lui ai proposée, et s’il renonce à la prétention de nous faire évacuer Lalla-Maghnia. S’il me répondait non, je marcherais sur lui et j’attaquerais ce premier camp. Au lieu de cela, que m’ordonnez-vous ? 1° d’attendre la concentration de forces énormes ; 2° de perdre cette force morale sur les peuples et sur mes soldats que j’avais acquise par une attitude énergique et offensive. Plus j’y réfléchis, monsieur le maréchal, plus cette conduite me paraît funeste, je dirai même intolérable. Hier, j’étais fier de ma situation ; dans deux ou trois jours peut-être, je regretterai amèrement d’avoir prolongé aussi longtemps mon séjour en Afrique. C’est avec la tristesse dans le cœur que je trace ces dernières lignes. »

Mais, le 11 août, quand il reçut la nouvelle du bombardement de Tanger, ce fut un cri de joie qui sortit de sa poitrine. « Le 14 au plus tard, écrivit-il au prince, j’ai la confiance que nous aurons, acquitté la lettre de change que la flotte vient de tirer sur nous. »


VI

Les camps marocains s’étaient rapprochés ; de la vigie de Lalla-Maghnia on les apercevait sur les collines de la rive droite de l’Isly, à 2 ou 3 kilomètres en arrière d’Oudjda. D’après les dires des espions, il y avait là un rassemblement de 30,000 cavaliers et de 10,000 fantassins, avec onze bouches à feu. L’élite de cette armée était la cavalerie noire ou mulâtre de la garde de l’empereur, les Abid-el-Bokhari.

Voici, d’après les mémoires du général de Martimprey, une esquisse de cette troupe, qui passait pour redoutable : « Une large culotte ou zeroual, un burnous de drap bleu, un grand bonnet rouge pointu, un sabre et un long fusil armé d’une baïonnette, leur constituaient une tenue et un armement à peu près uniformes. Toutefois, les fusils n’étant pas à cette époque du même calibre, il s’ensuivait qu’il ne pouvait être fait de distribution de cartouches. Dans le combat, chacun, muni de balles à sa convenance et d’une poire à poudre, chargeait son arme comme on le fait à la chasse, méthode délicate et lente dans la chaleur de l’action. »

La température était excessive ; afin d’abriter ses troupes, le maréchal avait transporté le bivouac à l’est de Lalla-Maghnia, au bord d’un ruisseau, dans un bois de frênes d’une belle venue, de sorte que les rôdeurs marocains, ne voyant plus les Français à leur ancienne place, se figurèrent d’abord qu’ils avaient fait retraite sur Tlemcen. Ils se trompaient du tout au tout. Le maréchal