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data un nouveau droit constitutionnel. « La régence, demanda Pitt au parlement, est-elle un droit absolu ? N’est-elle qu’un dépôt, un fidéicommis ? » A quoi Fox, l’apôtre de la souveraineté populaire, converti pour un jour à l’idée dominante du torysme, s’empressa de répondre : « La régence est un droit, comme la royauté elle-même, dont elle est l’émanation. » A son tour, Pitt répliquait, lui, l’avocat de la prérogative, que la royauté n’est qu’un dépôt, que la souveraineté, imprescriptible et inaliénable, réside dans la nation, représentée par le parlement. Cette thèse eut gain de cause, et la régence fut enfermée dans des limites tellement étroites qu’elle devenait presque dérisoire. D’ailleurs, elle n’entra même pas en exercice : le roi guérit et reprit en main le pouvoir. Comprit-il que ce pouvoir était moralement amoindri ? Et que pensa-t-il de la singulière façon dont son jeune ministre avait défendu les droits souverains ? Nul ne sut ou ne voulut le dire à la postérité, qui doit s’en tenir à des conjectures. Les esprits étaient disposés de telle sorte que George III dut féliciter Pitt de l’énergie qu’il avait déployée, et, dès lors, rien ne fit plus obstacle aux volontés du ministre.

Pendant que les tories, par nécessité politique, inclinent leur principe devant celui des whigs, les whigs, de leur côté, rattachent plus énergiquement que jamais le principe aristocratique à la monarchie héréditaire, pour laquelle ils avaient paru se refroidir. Il en résulte un rapprochement et comme une fusion des deux partis. Qui opère ce miracle ? La révolution française. Par son contre-coup, par l’horreur qu’elle inspire, par la vive lumière qu’elle projette, aux yeux de l’Europe, sur les périls de la démocratie, elle achève la fixation de cette constitution anglaise, qui est dans les idées et dans les mœurs bien plus que dans les lois, sorte de nébuleuse politique dont nous suivons, avec M. Lecky, la condensation graduelle à travers les vicissitudes du XVIIIe siècle. C’est grâce à la plume et à la parole d’Edmund Burke que la cristallisation constitutionnelle atteint enfin son état définitif de netteté brillante et d’indestructible solidité.

Je sais bien que Burke n’était pas le premier Anglais de son temps, qu’il n’était même pas le premier dans son parti. Ses contemporains trouvaient dans ses discours comme dans ses écrits de l’enflure, du mauvais goût ; ils lui reprochaient cette irritabilité maladive qui, par momens, touchait à la folie. Bien inférieur à Fox comme débuter il n’avait pas, comme lui, cet esprit pratique, cette rapidité et cette sûreté de décision qui font les grands leaders. Mais il a vu clair là où Fox a été aveugle. Il a été, à une heure extraordinaire et solennelle, la conscience et la voix de l’Angleterre : fortune qui n’est jamais échue à son brillant émule.