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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/854

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inspirées par la Norvège, on s’accorde généralement à fixer entre 1640 et 1645 le séjour qu’Everdingen aurait fait dans ce pays ; après cette époque, nous savons qu’il vint s’établir à Harlem, où l’on suit sa trace pendant quelques années, au moins jusqu’en 1651. Quant au naufrage qui aurait jeté le peintre sur les côtes de Norvège, s’il est réel, rien n’empêche cependant qu’Everdingen ne soit revenu plus tard dans ce pays. Il était d’humeur voyageuse, et, très jeune encore, il avait parcouru le Tyrol avec Savery, son maître. D’Alkmar, sa patrie, les relations avec la Norvège étaient faciles et fréquentes, car c’est de ce pays que, depuis longtemps, les Hollandais tiraient les bois pour leurs navires et leurs constructions. Il n’était donc pas besoin d’un accident pour y aborder, et un artiste néerlandais y trouvait certainement à qui parler avec ses compatriotes installés dans le pays. Les eaux-fortes, gravées par Everdingen, très probablement de 1645 à 1654[1], et qui représentent des vues de ces contrées lointaines, — des cascades, des rochers, des forêts de sapins, — nous fournissent des indications relatives aux conditions dans lesquelles l’artiste y a vécu. Il n’y était pas seul, et l’on peut voir dans l’une d’elles (Bartsch, n°72) des voyageurs, au nombre de trois, cheminant sur une route, suivis par un homme qui porte leur bagage, tandis que, dans une autre planche (B. no 54), nous retrouvons les mêmes voyageurs, — enveloppés de manteaux, coiffés de chapeaux à haute forme et vêtus du costume hollandais de cette époque, — qui, assis l’un près de l’autre, sont occupés à dessiner sur leurs albums des rochers d’aspect assez étrange parmi lesquels ils sont installés. N’était l’extrême jeunesse de Ruysdael à ce moment, nous aurions été tenté de le reconnaître parmi ces compagnons d’Everdingen, si nous ne savions, d’autre part, que les sujets norvégiens n’ont été abordés par notre artiste qu’à une époque assez avancée de sa carrière, ainsi que le prouvent leur exécution, toujours large et sûre, et les dates que l’on a pu relever sur quelques-uns d’entre eux.

Suivant la remarque de M. A. de Wurzbach, un des derniers biographes de Ruysdael, il est peu probable qu’à ce moment, en pleine possession de son talent, celui-ci, comme on le prétend d’ordinaire, se serait avisé de faire des pastiches d’Everdingen, en se servant de ses dessins ou de ses études. Sans vouloir égaler à ses paysages hollandais les cascades et les sites norvégiens de Ruysdael, nous trouvons dans ces tableaux une précision de détails, une variété, un sentiment poétique, qui nous paraissent très personnels et rendent ces interprétations de la nature supérieures à celles

  1. Voir à ce sujet la brochure : Allart Van Everdingen ; Catalogue des estampes qui forment son œuvre gravé, par W. Drugulin. Leipzig, 1873.