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Avec la Tempête du Louvre, au contraire, nous retrouvons les oppositions violentes que réclamait cette pathétique composition. Un ciel d’orage pèse sur l’horizon encore éclairé par une lueur sinistre, qui bientôt va disparaître, car déjà la tourmente s’est élevée, et les barques, penchées, secouées par le vent, regagnent en toute hâte la côte prochaine. Mais Ruysdael ne s’est pas borné, cette fois, à nous peindre l’agitation de la mer et les dangers dont elle menace les embarcations éparses sur ses flots. Une chaumière, à peine protégée par des pieux grossièrement reliés entre eux, est exposée aux furieux assauts de la vague, qui déferle et remplit l’atmosphère d’une buée moite et saline. La simplicité de la composition est en rapport avec la grandeur de la scène, et tandis que, dans le Cimetière des juifs, les divers élémens mis en jeu juraient de se trouver réunis, l’unité ici est parfaite et la sûreté magistrale de la facture augmente encore la puissance de l’impression[1].

Ces aspects mélancoliques ou terribles de la mer sur les côtes de la Hollande, Ruysdael les trouvait dans le voisinage de Harlem, réunis au charme de la campagne elle-même. Bien souvent, à toutes les époques de sa vie, il se sentit attiré vers sa ville natale, parmi cette nature qui lui fournissait à chaque pas des motifs appropriés à son talent. Cette campagne de Harlem semble, en effet, un lieu privilégié pour les peintres, et, à voir les élémens pittoresques qu’elle offre à leurs études, on comprend les nombreuses inspirations qu’ils y ont puisées. Il n’est guère de contrée qui présente des aspects à la fois plus logiques et plus différens. Vers la mer, le vent qui souffle incessamment du large règne en maître. Il dispose à son gré le rythme des nuages, soulève les flots, disperse au loin le sable du rivage et plie ou rase sous ses assauts réitérés les buissons rabougris qui s’accrochent çà et là aux croupes pelées de la dune. Du côté opposé, une riche végétation, abritée par la dune elle-même, s’épanouit librement, et des bois respectés marient leur sombre verdure au vert éclatant des prairies. La physionomie déjà si variée du paysage change à chaque instant avec les jeux capricieux de la lumière : tantôt égayée par le soleil des colorations les plus fraîches et les plus brillantes, tantôt remplie de contrastes quand les grandes ombres des nuées promènent à travers la plaine leurs découpures étranges ; tantôt enfin, aux approches de l’orage, livide, sinistre et désolée. Sous ces aspects mobiles, les harmonies restent toujours franches ; jamais rien qui soit crû, rien qui détonne. Même au cours de l’été, les gazons, éclatans ou flétris, ont des reflets de

  1. L’œuvre a, par malheur, beaucoup souffert ; elle gagnerait, en tout cas, à être débarrassée des traces nombreuses de repeints déjà anciens qui, ayant beaucoup noirci, font aujourd’hui autant de taches.