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Et la réforme est apparue à M. Janssen comme un gigantesque Culturkampf. Les passages qu’il cite de Luther et de Mélanchthon « fournissent le témoignage que la nouvelle doctrine a été imposée au peuple par le pouvoir, et qu’il regrettait l’ancien temps catholique[1]. » Il n’invoque donc point contre la réforme le principe d’autorité, les droits imprescriptibles du catholicisme à l’hégémonie des peuples ; il la montre infidèle à son principe même, il la présente, en un élégant paradoxe, comme une atteinte portée par des princes avides et rebelles à la liberté de conscience du peuple allemand. Quand d’autres souverains ont usé de procédés semblables à l’égard des réformés, il les condamne sans appel ; il dira de Louis XIV et de la révocation de l’édit de Nantes : « Le clergé français mérite le reproche de n’avoir pas protesté hautement contre les violences de ce principal représentant de la malheureuse politique des Bourbons : cent ans plus tard, les ecclésiastiques français ont dû expier la faute de leurs prédécesseurs par des torrens de sang. » Ces lignes font honneur au libéralisme de M. Janssen, ecclésiastique lui-même ; mais qui donc oserait aujourd’hui réhabiliter la révocation de l’édit de Nantes, tant la cause de la liberté de conscience est gagnée, sinon entièrement dans les faits, du moins dans l’opinion, et surtout dans le langage des partis ? L’originalité de M. Janssen est de nier que la révolution du XVIe siècle y ait contribué en quelque manière. — Il se défend d’avoir mis au seul compte de la réforme et de Luther les maux qui ravagèrent l’Allemagne au XVIe siècle. Les papes de la renaissance, les catholiques aussi, ont leur part de responsabilité dans le malheur commun, et il se garde de l’atténuer. Enfin il se déclare l’allié du protestantisme dans le présent, lorsqu’il s’agit de faire face à l’ennemi commun de toutes les églises, au matérialisme ; et comme signe redoutable de cette gangrène, M. Janssen cite la littérature française contemporaine, « littérature pornographique accueillie par un si nombreux public en Allemagne[2]. » — En réalité, il est plus aisé de s’irriter contre M. Janssen, voire même de l’injurier, que de le réfuter. Il ne suffit pas de lui opposer M. de Ranke, historien un peu vague, qui excelle à débrouiller les affaires diplomatiques, à indiquer les mouvemens d’opinion, à tracer des portraits historiques, mais qui ne descend guère au milieu des foules. Il faudrait refaire toute cette histoire avec le labeur immense et l’exactitude réaliste que M. Janssen y a consacrés. C’est là son avantage sur ces critiques au pied levé, peu capables de la même dépense de travail. Cette supériorité, toutefois,

  1. An meine Kritiker, p. 121.
  2. Ibid., p. 129.