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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/127

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de la suprême inconnue. » Pourtant, malgré quelques ressemblances extérieures, il y a un abîme, — Et M. Renouvier le reconnaît, — Entre ceux qui subordonnent la spéculation métaphysique à la morale et ceux qui, au contraire, voient dans la moralité même le prolongement, l’expression extérieure, l’application active d’une spéculation métaphysique. Le problème est d’un intérêt si général et, à vrai dire, si impérieux pour toutes les consciences, qu’il est nécessaire de l’examiner à tous les points de vue, sans reculer devant les abstractions indispensables à l’analyse philosophique. Essayons donc de juger impartialement et à sa véritable valeur cette méthode morale qui place la croyance sous la certitude, substitue aux raisons spéculatives les postulats pratiques, à l’appréciation raisonnée des probabilités un libre pari, et qui ne sort ainsi du doute que par un acte de foi.


II.

D’abord, quelle est la vraie nature de la croyance ? Selon M. Renouvier, la foi est une affirmation volontaire, une certitude que nous produisons nous-mêmes, un acte de libre arbitre qui jette dans le flot mouvant l’ancre immobile. Cette conception de M. Renouvier est d’accord avec la conception fondamentale de la foi religieuse ; il y a toutefois cette différence que la foi religieuse est œuvre de grâce autant que de liberté.

Pour nous, nous ne saurions admettre que la croyance soit une affirmation libre, ni, en général, qu’un jugement sur le vrai ou le faux, le possible ou l’impossible, le probable ou l’improbable, puisse être volontaire. La vérité d’un jugement, en effet, est sa conformité à l’objet; comment cette conformité pourrait-elle être subordonnée à mon libre arbitre ? C’est au fond une contradiction que de dire : — Il dépend de ma volonté d’être certain d’une chose dont la vérité est indépendante de ma volonté. La foi prétendue libre à une idée n’est que la force inhérente à cette idée et au désir qui en est inséparable. En ce sens, assurément, il est vrai que la foi transporte les montagnes, mais sa puissance n’est, en dernière analyse, que celle d’une connaissance portant sur un idéal et sur sa réalisation possible. L’idée n’est donc active et pratique que par l’élément spéculatif qu’elle enveloppe plus ou moins obscurément et par le sentiment qui s’y attache : elle n’emprunte pas son efficace à un acte de libre arbitre différent de la pensée, du sentiment et du désir. « Je crois à la liberté, a dit Kant avant MM. Renouvier et Secrétan, parce que je veux y croire ; la liberté existe,

<ref> Barine, Critique de la raison pratique, p« 363.