Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/130

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est l’imperfection de l’analyse métaphysique qui en est cause. Eriger en méthode une intrusion du sentiment et de la volonté comme tels, qui est précisément un défaut de méthode et une cause perturbatrice de la vision intellectuelle, c’est faire comme un juge qui érigerait en théorie la partialité au lieu de poursuivre l’impartialité.

Les raisons esthétiques ou morales, en tant que raisons, font partie des élémens d’appréciation intellectuelle et spéculative ; mais il n’y a pas deux manières de raisonner, l’une spéculative et l’autre pratique : tenir compte de toutes les raisons, selon leur valeur relative, voilà la seule vraie et bonne manière de raisonner. Nous ne devons pas séparer notre être en deux ni dire comme certain savant : « Quand j’entre dans mon oratoire, j’oublie mon laboratoire, et quand je retourne à mon laboratoire, j’oublie mon oratoire. » La métaphysique est essentiellement une synthèse de toutes les raisons, une réduction de tout à l’unité. Les raisons sentimentales, esthétiques, morales, peuvent donc et doivent être invoquées avec les autres raisons, ou même en l’absence des autres raisons, mais elles ne sont jamais invoquées pour leur valeur « subjective ; » elles le sont pour les élémens de valeur objective qu’elles peuvent renfermer ; elles viennent à la fin et non au commencement, elles n’ont pas la primauté.


III.

Voyons cependant à l’œuvre la méthode morale qu’on nous propose, qu’on nous impose même au nom du devoir. Cette méthode permettra-t-elle au métaphysicien de relever dans la pratique, sous le nom de postulats, ce qu’il aura renversé dans la spéculation ? Permettra-t-elle tout au moins de remplacer les incertitudes de la spéculation par des certitudes pratiques?

Selon MM. Renouvier et Secrétan, la morale « est la seule base d’objectivité pour la spéculation, » parce que, dans la pratique, nous sommes forcés d’agir dans un sens ou dans l’autre, et obligés moralement d’agir dans un seul des sens ; or, ajoutent-ils, la nécessité d’agir entraîne la nécessité d’affirmer, et le devoir d’agir dans un sens entraîne le devoir d’affirmer dans le même sens. Examinons ces divers points, dont l’importance et la difficulté ne sauraient échapper à personne.

« Le pari est forcé, » nous dit d’abord M. Renouvier avec Pascal, donc l’affirmation est également forcée en un sens ou en un autre. — Entendons-nous bien : qu’y a-t-il de forcé ? Est-ce l’affirmation de Pune ou de l’autre thèse? Pas le moins du monde ; c’est seulement l’action dans l’un ou l’autre sens. Perdu dans la forêt entre deux