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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/162

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débuts de cette feuille, éditée en 1835 par James Gordon Bennett, et qui occupe, sans conteste, le premier rang dans la presse américaine. L’histoire de la vie de l’homme qui a créé et porté si haut sa fortune n’est pas moins curieuse que celle de son entreprise. Elle mel en relief puissant cet esprit de persévérance obstinée, de confiance intrépide, d’adaptation merveilleuse aux circonstances, que l’on retrouve au début de toutes les grandes fortunes américaines.

Et cependant James Gordon Bennett n’était pas Américain d’origine. Né en Écosse, catholique de religion, destiné par ses parens à entrer dans les ordres, élevé dans un séminaire, il quitta son pays, renonça à sa vocation douteuse, émigra aux États-Unis, se consacra au journalisme, ainsi détourné de sa voie et influencé par « l’autobiographie de Benjamin Franklin, » l’un des livres les plus lus alors par les jeunes gens de son âge. Trois mois après sa décision prise, il débarquait à Halifax, d’où il gagnait Portland, puis Boston. «J’étais seul, écrit-il, jeune et enthousiaste. J’avais dévoré le livre enchanteur dans lequel Benjamin Franklin raconte l’histoire de sa vie. Boston, où avait vécu mon héros, m’apparaît comme la résidence d’un ami qui m’était cher. Je m’étais passionné aussi pour les événemens de la guerre de l’indépendance. Sur les hauteurs de Dorchester, il me semblait fouler un sol sacré; à l’horizon, les clochers de Boston, étincelant au soleil, m’apparaissaient comme autant de phares de liberté. »

Cette fièvre d’enthousiasme dura plusieurs semaines ; mais le futur millionnaire, absorbé dans sa contemplative rêverie, ne tarda pas à voir la fin de son modeste pécule. Il entra alors dans une imprimerie en qualité de commis et correcteur d’épreuves, remplit quelque peu sa bourse vide, et partit pour New-York, où il espérait trouver un champ plus vaste pour son activité. Tour à tour professeur, conférencier sur l’économie politique, écrivain à ses heures et suivant l’occasion, il essaya de tout, sans grand succès.

Le journalisme était encore dans l’enfance. Les quelques feuilles de New-York ne possédaient alors, en fait de personnel, que l’éditeur, propriétaire et rédacteur, deux ou trois compositeurs mal rétribués, et parfois, mais rarement, un correspondant à Washington pendant la session du congrès, lequel touchait, très irrégulièrement, de 25 à 40 francs par semaine, tout compris, même ses frais de poste. On était loin alors des 75,000 à 100,000 francs par ans alloués depuis à MM. G. Townsend et J. Howard, comme correspondans spéciaux. M. Bennett se rendit à Washington pour le compte du New-York Enquirer. Dans la bibliothèque du congrès, le hasard fit tomber entre ses mains un volume des lettres d’Horace Walpole. Les anecdotes piquantes, les descriptions familières, les