— Apprends-nous la danse, dit une femme.
Et Krishna, sortant de son rêve, jeta sur les Gopis des regards bienveillans. Il leur adressa de douces paroles et, leur prenant la main, les fit asseoir sur le gazon, à l’ombre des grands cèdres, sous la lumière de la lune brillante. Alors, il leur raconta ce qu’il avait vu en lui-même : l’histoire des dieux et des héros, les guerres d’Indra et les exploits du divin Rama. Femmes et jeunes filles écoutaient ravies. Ces récits duraient jusqu’à l’aube. Quand l’aurore rose montait derrière le mont Mérou et que les kokilas commençaient à gazouiller sous les cèdres, les filles et les femmes des Gopas regagnaient furtivement leurs demeures. Mais, le lendemain, dès que la lune magique montrait sa faucille, elles revenaient plus avides. Krishna, voyant qu’elles s’exaltaient à ses récits, leur enseigna à chanter de leurs voix et à figurer de leurs gestes les actions sublimes des héros et des dieux. Il donna aux unes des vinas aux cordes frémissantes comme des âmes, aux autres des cymbales sonores comme les cœurs des guerriers, aux autres des tambours qui imitent le tonnerre. Et, choisissant les plus belles, il les animait de ses pensées ; ainsi, les bras étendus, marchant et se mouvant en un rêve divin, les danseuses sacrées représentaient la majesté de Varouna, la colère d’Indra tuant le dragon, ou le désespoir de Maya délaissée. Ainsi les combats et la gloire éternelle des dieux que Krishna avait contemplés en lui-même revivaient dans ces femmes heureuses et transfigurées.
Un matin, les Gopis s’étaient dispersées. Les timbres de leurs instrumens variés, de leurs voix chantantes et rieuses, s’étaient perdus au loin. Krishna, resté seul sous le grand cèdre, vit venir à lui les deux filles de Nanda : Sarasvati et Nichdali. Elles s’assirent à ses côtés. Sarasvati, jetant ses bras autour du cou de Krishna et faisant résonner ses bracelets, lui dit : « En nous enseignant les chants et les danses sacrées, tu as fait de nous les plus heureuses des femmes ; mais nous serons les plus malheureuses quand tu nous auras quittées. Que deviendrons-nous quand nous ne te verrons plus ? Oh ! Krishna ! épouse-nous, ma sœur et moi, nous serons tes femmes fidèles, et nos yeux n’auront pas la douleur de te perdre. » Pendant que Sarasvati parlait ainsi, Nichdali ferma les paupières comme si elle tombait en extase.
— Nichdali, pourquoi fermes-tu les yeux ? demanda Krishna.
— Elle est jalouse, répondit Sarasvati en riant ; elle ne veut pas voir mes bras autour de ton cou.
— Non, répondit Nichdali en rougissant ; je ferme les yeux pour contempler ton image qui s’est gravée au fond de moi-même. Krishna, tu peux partir ; je ne te perdrai jamais.