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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/324

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REVUE DES DEUX MONDES.

sentait que sa mission était terminée et ne demandait, pour être accomplie, que le sceau suprême du sacrifice. Il cessa donc d’éviter et de paralyser son ennemi par la puissance de sa volonté. Il savait que, s’il cessait de se défendre par cette force occulte, le coup longtemps médité viendrait le frapper dans l’ombre. Mais le fils de Dévaki voulait mourir loin des hommes, dans les solitudes de l’Himavat. Là, il se sentirait plus près de sa mère radieuse, du vieillard sublime et du soleil de Mahadéva.

Krishna partit donc pour un ermitage qui se trouvait dans un lieu sauvage et désolé, au pied des hautes cimes de l’Himavat. Aucun de ses disciples n’avait pénétré son dessein. Seules Sarasvati et Nichdali le lurent dans les yeux du maître par la divination qui est dans la femme et dans l’amour. Quand Sarasvati comprit qu’il voulait mourir, elle se jeta à ses pieds, les embrassa avec fureur et s’écria :

— Maître ! ne nous quitte pas !

Nichdali le regarda et lui dit simplement :

— Je sais où tu vas. Si nous t’avons aimé, laisse-nous te suivre !

Krishna répondit :

— Dans mon ciel, il ne sera rien refusé à l’amour. Venez ! Après un long voyage, le prophète et les saintes femmes atteignirent des cabanes groupées autour d’un grand cèdre dénudé, sur une montagne jaunâtre et rocheuse. D’un côté, les immenses dômes de neige de l’Himavat ; de l’autre, dans la profondeur, un dédale de montagnes ; au loin, la plaine, l’Inde perdue comme un songe dans une brume dorée. Dans cet ermitage vivaient quelques pénitens en vêtemens d’écorce, aux cheveux tordus en gerbe, la barbe longue et le poil non taillé, sur un corps tout souillé de fange et de poussière, avec des membres desséchés par le souffle du vent et la chaleur du soleil. Quelques-uns n’avaient qu’une peau sèche sur un squelette aride. En voyant ce lieu triste, Sarasvati s’écria :

— La terre est loin et le ciel est muet. Seigneur, pourquoi nous as-tu conduit dans ce désert abandonné de Dieu et des hommes ?

— Prie, répondit Krishna, si tu veux que la terre se rapproche et que le ciel te parle.

— Avec toi le ciel est toujours présent, dit Nichdali ; mais pourquoi le ciel veut-il nous quitter ?

— Il faut, dit Krishna, que le fils de Mahadéva meure percé d’une flèche pour que le monde croie à sa parole.

— Explique-nous ce mystère.

— Vous le comprendrez après ma mort. Prions.

Pendant sept jours, ils firent les prières et les ablutions. Souvent le visage de Krishna se transfigurait et paraissait comme rayon-