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clés du Haut-Dauphiné. La paix établie, aux applaudissemens des deux partis, Mayenne entra à Cap et se retira ensuite à Grenoble ; il avait conçu l’espérance de ramener tout à fait Lesdiguières au parti de la cour, l’invita à venir le visiter et le reçut avec de grands honneurs ; mais, au bout de quelque temps, Lesdiguières, ne se sentant pas en sûreté à Grenoble, reprit le chemin du Dauphiné. La paix dura trois mois, et, pendant ce temps, il régla les affaires de son parti et fortifia les places que le dernier édit leur avait conservées. Il travailla à se concilier les désunis, et quand le roi de Navarre, en 1584, appela à Montauban les principaux chefs de son parti, Lesdiguières put y parler au nom de toutes les églises du Dauphiné. On délibéra s’il fallait recommencer la guerre. On coupa des écus d’or, dont chacun emportait une moitié, et il fut convenu que, quand le roi enverrait l’autre moitié, on prendrait les armes.

Quand Lesdiguières reçut l’écu coupé, il ne perdit pas un moment et se jeta sur Chorges, une ville du Gapençais, tenue par les ligueurs, et emporta cette place de force, puis il partit pour le Montélimar, qu’il emporta d’assaut, et revint mettre le siège devant Embrun ; il prit la citadelle et la place de vive force. Ses soldats s’y livrèrent à de grands excès et pillèrent le trésor de la cathédrale ; tous les titres de propriété des églises, prieurés et communautés, furent partagés entre les seigneurs réformés des environs. Le peuple crut voir longtemps, sur le parvis de la cathédrale, les traces des fers du cheval de Lesdiguières.

Maugiron avait succédé comme lieutenant-général au gouvernement du Dauphiné à Gordes (celui qui avait refusé de faire exécuter les ordres donnés au lendemain de la Saint-Barthélemy). Les protestans du Dauphiné se souvenaient que c’était lui qui avait massacré, dans la nuit de la Saint-Barthélemy, les protestans au faubourg Saint-Germain. Lesdiguières essaya pourtant de le séduire et négocia avec lui ; il demandait la reconnaissance des droits éventuels du roi de Navarre à la couronne de France, la liberté de conscience et la conservation des places occupées des deux parts, jusqu’à une paix générale. Henri III écrivit à Maugiron pour lui interdire toute suspension d’armes. « J’ay moien encor de protéger et défendre mes subgets sans Lesdiguières et ses inventions. » (Lettre du 25 décembre 1587)[1].

La ligue jetait les serviteurs du roi dans de grands embarras; de tous côtés on concluait des traités séparés, et la fidélité devenait indécise. La Valette[2] et son frère d’Epernon avaient assiégé Chorges

  1. Archives municipales de Briançon.
  2. Bernard de Nogaret de La Valette, gouverneur de Provence et amiral de France, né en 1553, tué en 1592, au siège de Roquebrune.