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d’Annibal. La solde s’élève, dans le même espace de temps, de 120 as anciens à 1,200 as nouveaux pour le fantassin, de 360 à 3,600 pour le cavalier, et ainsi de suite. Si l’abaissement du pouvoir de la monnaie avait seul agi, l’as nouveau valant six fois moins, les sommes de la dernière période, pour les exemples cités, eussent été les suivantes : 6,100, 720 et 2,160 as ; l’écart entre ces derniers chiffres et ceux que nous venons de marquer (10,000, 1,200, 3,600) montre l’augmentation réelle des prix. Il fallut, vers la fin du IIIe siècle ou le commencement du second avant l’ère chrétienne, des fortunes presque doubles de celles de la période précédente pour suffire aux mêmes achats, aux mêmes charges, aux mêmes nécessités de toute sorte. — L’afflux des métaux précieux avait entraîné une révolution monétaire et économique.

Cette transformation des prix est une résultante si générale et si inévitable qu’on voit le même changement se produire, aux mêmes dates, dans les chiffres du cens. Le recensement pratiqué à la fin de chaque lustre, tous les cinq ans, inscrivait sur les registres des censeurs, outre les noms, prénoms, âge, parenté, le chiure de fortune de chaque citoyen, non pas le chiffre réel qu’il aurait pu déclarer, mais le nombre rond correspondant à l’un de ceux qui marquaient pour chaque classe un minimum légal. Par exemple, tout citoyen possédant une fortune qui dépassait 100,000 as faisait partie, pendant les cinq premiers siècles, de la première classe, et les trois classes suivantes étaient déterminées par des taux réciproquement inférieurs entre eux de 25,000 as. C’est ce que Tite-Live expose clairement quand il rend compte de la constitution attribuée à Servius Tullius. Il ajoute quelle partie du service militaire et quel armement sont assignés à chaque catégorie. Mais le même historien, racontant l’épisode d’un tribut extraordinaire levé en l’an 214 pour l’équipement et l’entretien de la flotte romaine[1], nous informe que le minimum de fortune de la première classe est maintenant fixé à 1 million d’as. Les bases du cens ont donc été remaniées, et suivant la même proportion qu’a observée l’augmentation générale. Émile Belot, par des calculs dans le détail desquels il serait impossible d’entrer ici, démontre que le changement s’est produit selon les mêmes conditions pour les autres classes. La révolution monétaire a modifié l’ordonnance de la société romaine, probablement en ce sens que tous les citoyens n’auront pas vu l’équilibre s’établir pour eux entre le gain et les dépenses, et que les plus énergiques auront tiré profit des changemens financiers. Et déjà la carrière est ouverte pour la spéculation et le commerce.

  1. Livre XXIV, ch. 11.