Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/548

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et attire à soi, avec l’opulence, une part importante de l’autorité réelle. N’est-il pas arrivé plus d’une fois ainsi dans l’histoire que le développement de la fortune privée entraînât de profondes transformations politiques ? Les destinées de la chambre des communes d’Angleterre et du tiers-état français en ont offert, dans les temps modernes, d’assez clairs témoignages. Par le progrès de ces deux corps tout comme par celui des chevaliers romains enrichis, l’influence et le vrai pouvoir sont devenus le partage de la classe la plus intelligente, la plus économe et la plus active.

Les patriciens — possesseurs, il est vrai, de biens fonciers héréditaires — n’étaient pas appelés naturellement à tirer avantage des circonstances nouvelles qui auraient pu servir à augmenter leur fortune acquise. Le commerce était, en effet, jugé indigne d’eux, et le plébiscite Claudien, probablement de l’année 219, prononça à ce sujet des interdictions sévères, confirmées encore par Jules César et jusque par l’empereur Adrien. Il était prescrit aux nobles de s’abstenir des spéculations financières, des armemens maritimes, des adjudications publiques. Ils ne devaient pas faire partie de ces sociétés de capitalistes qui soumissionnaient les fermes des impôts. Les chevaliers, au contraire, c’est-à-dire ces mêmes citoyens issus de la plèbe rustique ou des cités municipales que leur fortune élevait à la première classe, n’avaient aucun scrupule de ce genre. Ils allaient s’enrichir, gagner de nouveaux droits, et contribuer aussi bien par le bon que par le mauvais usage de leur nouvelle puissance à un changement profond des mœurs, des idées et des conditions sociales.

Ils se firent publicains, c’est-à-dire qu’ils se présentèrent et se firent accepter aux diverses adjudications auxquelles donnaient lieu les diverses branches du revenu public, qu’il était d’usage d’affermer.

Les fournitures et approvisionnemens militaires, par exemple, étaient évidemment, pour les gens habiles, d’infaillibles moyens de s’enrichir. On voit les publicains à l’œuvre, dans les récits de Tite-Live, dès le temps de la seconde guerre punique. On reçut des deux Scipion, raconte l’historien, des rapports détaillés. Ils annonçaient leurs brillans succès en Espagne. Mais en même temps ils déclaraient qu’ils n’avaient plus d’argent pour la solde des troupes, que les armées manquaient de vêtemens et de blés, et les équipages maritimes de tout ce qui était nécessaire. Si le trésor public était épuisé, ils aviseraient, quant à la solde, aux moyens de faire contribuer les Espagnols ; mais il fallait qu’on envoyât de Rome tout le reste, et au plus tôt, si l’on voulait conserver l’armée et la province. Après qu’on eût lu ces dépêches, il fallut bien reconnaître l’urgente