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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/559

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Polignac, dont il souhaitait le succès sans oser y croire. Arrivé à cette extrémité, il pressentait un conflit prochain, il doutait de l’issue, — et plus il voyait l’orage se former du côté de la France, plus il sentait le besoin de se rattacher à la tradition de 1815, de renouer les alliances absolutistes avec la Prusse, dont il était toujours sûr, — avec la Russie, dont il avait été un instant séparé par la guerre orientale de 1828. C’était le secret de l’entrevue qu’il recherchait dans l’été de 1830, à Carlsbad, avec M. de Nesselrode, pour le conquérir à ses vues de politique commune à l’égard de la France menacée d’une révolution nouvelle.

Comment éclaterait la catastrophe française ? M. de Metternich s’arrêtait devant la redoutable énigme. Il ne savait pas qu’au moment où il se rencontrait avec le chancelier russe, — le 27 juillet 1830, — la crise venait de se précipiter, que déjà avaient éclaté à Paris des événemens qui justifiaient ses éternels pronostics de pessimisme transcendant, qui, en emportant la royauté des Bourbons, créaient pour la France, pour l’Europe, une situation toute nouvelle, un ordre tout nouveau.


I

Ce qui se passait à Paris entre le 27 juillet et le 9 août 1830 ne ressemblait point, en effet, à un de ces accidens révolutionnaires dont on avait eu si facilement raison à Troppau, à Laybach et à Vérone. C’était bel et bien une révolution accomplie sur le plus grand des théâtres, provoquée par le coup d’état d’une royauté imprévoyante, précipitée par une insurrection populaire, condensée et resserrée au dernier moment dans une substitution de dynastie. Elle atteignait, cette nouvelle révolution de France, et l’ordre intérieur, fondé sur la légitimité monarchique, et l’ordre extérieur, européen, de 1815, dont la restauration semblait inséparable. Elle avait la fortune d’être à la fois une menace pour tous les gouvernemens d’ancien régime et un exemple pour les peuples dont elle enflammait les instincts libéraux. A peine accomplie effectivement, la révolution de Juillet retentissait en peu de temps de toutes parts : — à Bruxelles, où les Belges se séparaient du royaume des Pays-Bas, à Varsovie, où les Polonais levaient le drapeau de l’indépendance contre la Russie, au-delà des Alpes, où les duchés, les états pontificaux, devenaient des foyers d’insurrection, en Allemagne même, où Francfort, Dresde, voyaient éclater des mouvemens populaires.

Où s’arrêterait la commotion qui menaçait de gagner le continent, qui, d’un instant à l’autre, pouvait être la guerre universelle ? Tout dépendait, on le sentait bien, de ce que serait cette France nouvelle de 1830, de ce qu’elle allait faire pour déchaîner ou