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et il était en cela d’intelligence avec le chancelier, à qui il faisait savoir que « sa gêne provenait de l’esprit de son conseil et des engagemens qu’il avait contractés. » Le refus absolu qu’il opposa toujours depuis à une intervention au-delà des Pyrénées, même après avoir définitivement pris parti pour la royauté d’Isabelle II, était un gage offert aux cours conservatrices, qui lui en savaient gré. Lorsque M. de Metternich mettait toute sa dextérité ou sa perfidie à ruiner l’alliance anglaise aux Tuileries, à démontrer que cette alliance ne pouvait qu’être onéreuse pour la France, que lord Palmerston était le plus dangereux des alliés, le roi ne laissait pas d’écouter favorablement le chancelier d’Autriche. Ils étaient d’accord « en principe » sur bien des choses, au moins dans l’intimité. Ils ne s’entendaient cependant, il faut l’avouer, qu’en faisant leurs réserves, en gardant pour ainsi dire leurs positions, et un des incidens les plus curieux, les moins connus du règne dévoilait bientôt le conflit des arrière-pensées : c’est l’épisode du voyage des princes français en Europe et du projet de mariage formé pour le duc d’Orléans.

C’était tout un imbroglio assez singulier. Évidemment, le roi Louis-Philippe ne s’efforçait pas de désarmer les cours conservatrices du continent et n’entrait pas dans une intime familiarité avec le chancelier d’Autriche sans avoir ses raisons. Il calculait en fondateur de dynastie ; il voulait forcer le blocus politique maintenu contre lui en Europe, surtout ce qu’on appelait alors le « blocus matrimonial » organisé contre les princes français, et allant droit à la difficulté, sans se laisser troubler par le souvenir de deux expériences peu encourageantes, il avait rêvé pour son fils, pour l’héritier de sa couronne, un mariage autrichien. Un voyage des jeunes princes, du duc d’Orléans et du duc de Nemours, en Europe devait être le préliminaire de la conquête d’une archiduchesse. M. de Metternich n’était pas assez novice pour n’avoir rien soupçonné ; il jouait néanmoins la surprise en apprenant une nouvelle qu’il traitait de « saugrenue, » qu’il recevait, disait-il, comme « une tuile sur la tête. » Il trouvait qu’on allait trop vite à Paris, que le voyage des princes en Europe, surtout à Vienne, serait prématuré. Sans décliner tout à fait la visite, en promettant au contraire aux princes l’accueil dû aux fils du roi des Français et à des parens, il éludait ; il cherchait des prétextes d’ajournement, et il était aidé précisément à cette époque, — 1835, — par l’événement qu’il avait le moins prévu, — la mort de l’empereur François. Il se croyait délivré I Mais le roi Louis-Philippe tenait à sa pensée. La reine Marie-Amélie elle-même caressait le projet de mariage avec sa tendresse de mère, et, chose à remarquer, le jeune président du conseil qui arrivait à la direction des affaires le 22 février 1836, M. Thiers,