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au contraire, dans ses lettres à M. de Sainte-Aulaire ou à M. Apponyi, il répétait que la France lui paraissait « toujours bien malade. » Il persistait à voir dans l’origine révolutionnaire de la monarchie de Juillet le mal profond et irrémédiable, l’éternelle cause de toutes les faiblesses, de tous les dangers. Il gardait ses préventions contre le régime ; plus que jamais il s’intéressait aux hommes, à la grande partie qu’ils jouaient et où il se sentait après tout engagé comme eux. Assez libre quelquefois dans ses propos sur ce qu’il appelait les mobiles personnels ou les calculs dynastiques du roi, il ne se sentait pas moins en présence d’un politique supérieur, avec qui il y avait à compter et même à profiter. « Le roi Louis-Philippe, disait-il, a rendu un immense service à la France et à la paix de l’Europe en ne se laissant point enrayer par une réunion de difficultés aussi grandes que celles qui se sont rencontrées sous ses pas. Son habileté, la trempe de son esprit, sa connaissance des hommes, et une bien précieuse qualité, la patience, lui ont rendu possible de faire ce qu’il a déjà fait. » Avec M. Guizot, le chancelier avait pris très vite le ton de la plus sérieuse estime et presque du respect. Il se sentait visiblement attiré par certaines parties du caractère et du talent de l’homme qui portait au pouvoir, selon son propre langage : « la plus noble ambition d’une grande âme, celle de gouverner un pays libre. » — « Les factieux, écrivait-il un jour, ont raison de s’attaquer à M. Guizot comme ils le font. De tous les ministres depuis 1830, — et je n’ai aucune difficulté d’étendre mon jugement également à ceux de la restauration, — aucun n’a possédé les qualités de M. Guizot. J’admets qu’il ait beaucoup appris en marchant ; mais dans ce fait même se trouve un mérite. Les hommes qui ont la prétention de ne rien avoir à apprendre sont les pires… » Il venait même un moment où il y avait entre le premier ministre autrichien et le ministre français une intimité plus étroite, des correspondances secrètes, sans parler des confidences qu’on n’écrivait pas, dont on chargeait des émissaires clandestins. Le chancelier avait ses communications mystérieuses avec M. Guizot comme avec le roi, — et, chose plus curieuse, les communications avec l’un et avec l’autre ne se ressemblaient pas toujours !

Ce qui rassurait jusqu’à un certain point M. de Metternich dans cette phase de la monarchie de Juillet, c’est que le cabinet des Tuileries avait pris une direction décidément conservatrice, il n’en pouvait douter. « Le gouvernement français, disait-il, est conservateur, il n’a pas besoin d’être excité à l’être… » Ce qui ne cessait de l’inquiéter, c’est que le roi Louis-Philippe et M. Guizot, avec la volonté d’être des conservateurs, faisaient du a conservatisme » en hommes du « juste milieu » liés par les circonstances, toujours obligés de se débattre dans une situation fausse. « Je