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craignait la « succession féminine, qui pouvait, disait-il, nous donner un jour pour voisin je ne sais qui ? .. » Le roi s’était décidé pour la monarchie nouvelle d’Isabelle II moins par goût ou par conviction que parce qu’il ne pouvait pas faire autrement, parce qu’il voulait maintenir l’alliance libérale avec l’Angleterre, sans exclure la possibilité d’une entente éventuelle avec les cours conservatrices du continent. Le dernier mot de sa politique était de s’engager le moins possible, surtout de ne point intervenir, comme le dernier mot de la politique de M. de Metternich, qui avait pris parti pour la légitimité de don Carlos, mais qui connaissait la pensée du roi, était d’éviter tout ce qui aurait pu forcer la France à s’engager plus vivement au-delà des Pyrénées. Bref, on s’observait en se contenant mutuellement, en échangeant de temps à autre des confidences plus platoniques que décisives sur les moyens de pacifier l’Espagne. Le résultat était que la question de la succession espagnole demeurait livrée au sort des armes, et c’est en effet la guerre, une guerre de sept ans, qui décidait le sanglant différend au profit de la reine Isabelle contre le prétendant carliste. Le chancelier de Vienne s’en consolait en disant : « Le sort des affaires d’Espagne me paraît fixé… Don Carlos sera chassé, alors commencera la véritable confusion… »

C’était, dans tous les cas, une phase nouvelle dans l’imbroglio espagnol, ce qu’on pourrait appeler la phase du mariage de la jeune reine victorieuse : question des plus délicates, des plus épineuses, dont le duc de Broglie avait justement signalé le danger dans un avenir prochain, et qui ne cessait de préoccuper le roi Louis-Philippe. M. de Metternich, en homme expert, aurait voulu trancher cette question par un grand acte de transaction, par un mariage d’Isabelle avec le fils de don Carlos. Il ne faisait d’ailleurs que reprendre en pleine paix une idée suggérée déjà dans le feu de la guerre civile par le gouvernement français lui-même, et il mettait tout son art à intéresser la prévoyance dynastique du roi au succès de son projet. « Si le roi des Français voit juste dans les situations, disait-il, il devra comprendre qu’il est de l’intérêt de sa descendance de dégager celle-ci du danger immanquable de voir les prétendans aux deux trônes se tendre la main le jour où poindra le triomphe de leurs causes. Le moyen de parer au danger est entre les mains de Louis-Philippe, et il se trouve dans le règlement de l’affaire espagnole par l’entremise du roi des Français. Que ce soit au roi des Français que le prétendant espagnol doive l’apaisement de la querelle de succession en Espagne, et qu’il n’ait point à l’attendre d’événemens fortuits ! .. » Mais, soit maladresse des princes cliens de M. de Metternich, soit impopularité de leur cause au-delà des Pyrénées, le mariage rêvé par le chancelier n’avait guère de chances, et la question restait plus que jamais indécise, livrée aux