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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/640

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Cette croyance s’est affaiblie, soit ; mais par l’infiltration des idées morales, par cette subtilisation du polythéisme, qui, vous l’avez très bien montré, n’en est que l’affaiblissement ; ce n’est pas au polythéisme qu’il en faut faire honneur. — Ainsi de suite, et je m’arrête ; car c’est ici que Constant cesse absolument d’être original. Prenez l’Essai sur les mœurs, et, au lieu d’y voir un plaidoyer pour l’irréligion, dirigez-le dans le sens d’une introduction au protestantisme, vous avez tout l’esprit du livre de la Religion.

Et je me trompe encore en parlant de protestantisme. Le protestantisme, lui aussi, a été, est encore une religion organisée. Dans certains pays, il a même ses princes de l’église, il est un gouvernement, il est une « religion sacerdotale ; » il tomberait sous l’anathème de Constant. M. Constant de Rebecque doit connaître une ville où le premier effort du protestantisme a été de fonder un gouvernement théocratique d’une certaine solidité et d’une certaine rigueur. En cela il suivait sa nature, il obéissait à sa fonction, qui était d’être une religion, c’est-à-dire une organisation, une cohésion humaine. Là même où le protestantisme est plus libre, plus individuel, il est sacerdotal encore ; il est condamné à l’être, ou à n’être que la liberté pure et simple, c’est-à-dire la liberté de ne plus croire même à lui, c’est-à-dire à n’être pas. C’est le protestantisme réduit à ce qu’il a de négatif, de purement protestataire, que préconise Benjamin Constant. En cet état, il n’est pas une religion, il n’est que le besoin de n’en pas avoir. La religion de Constant, c’est la liberté individuelle, et encore en ce qu’elle a d’exclusif, d’isolant et de boudeur ; à la prendre en son fond, elle aurait pour devise : « Laissez-moi tranquille ! » C’est une maxime qui a du bon, et beaucoup de bon ; mais ce n’est pas une religion, ni même un « sentiment religieux. » De Maistre triompherait ici ; je l’entends parler : « Le catholicisme, c’est l’unité. Tout ce qui brise l’unité, tout ce qui disperse, tout ce qui isole, est protestantisme. Lisez Constant. » Pour ce qui est du protestantisme de Constant, il aurait raison.

Chose curieuse, Benjamin Constant abhorre le fétichisme, bien entendu, et il ne s’aperçoit pas qu’il y revient. Qu’est-ce que le fétichisme ? C’est une religion particulière, « Le fétichisme lutte, par sa nature, contre l’empire sacerdotal. Le fétiche est un être portatif et disponible que son adorateur peut consulter lui-même dans toutes les circonstances et avec lequel il fait, son traité directement. » Le dieu de Constant n’est pas autre chose. Il est un idéal disponible et portatif (il écrit admirablement, ce Constant ! ) que chacun se fait à soi-même et consulte à son loisir. Et vous entendez bien qu’il n’est que vous-même, vous-même très pur, vous-même en vos bons momens, avec qui vous discutez des points de morale. Comme en politique vous ne relevez que de votre droit, en religion