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métaphore d’une explication, et préciser tour à tour l’image par le son ou le son par l’image. Présenter en peinture des allégories du son immédiatement intelligibles est une tâche autrement rude et qui exige, de la part de l’artiste, une exaltation extraordinaire. On n’y saurait parvenir qu’en imposant au spectateur une impression nettement et vigoureusement fantastique. Si M. Maignan avait donné plus d’importance, d’une part, à la cloche et au clocher d’où s’échappent tous ces fantômes, et, d’autre part, à la terre bouleversée par les horreurs de la guerre, en accentuant moins froidement les anatomies de ces fantômes, nous eussions mieux saisi leur caractère idéal, et nous eussions mieux compris, par la présence des deux termes, l’association d’idées d’où est sortie la conception de l’artiste. Au premier abord, au contraire, la cloche et la terre se voient à peine, tandis que l’action de ces grands corps, agités et tordus comme les damnés de Michel-Ange, les uns s’envolant, en hurlant, dans les espaces, les autres suspendus à des cordes brisées, s’explique lentement et difficilement. Quand on est revenu de cette surprise, on est heureux d’admirer la sérieuse vigueur et la conviction puissante que M. Maignan a apportée dans cette lutte prolongée contre l’insaisissable. La plupart de ces grandes figures en mouvement sont exécutées avec une science et une liberté devenues très rares aujourd’hui, et montrent chez M. Maignan l’étoffe d’un peintre d’histoire. Il eût suffi d’une mise en scène plus complète ou d’une combinaison de couleurs plus dramatique pour leur donner toute leur valeur expressive.

Comme M. Gérôme a voulu exprimer les rêves d’André Chénier, M. Guillaume Dubufe a tenté d’exprimer, dans un grand tryptique décoratif, pouvant servir de rideau théâtral, les rêves de la Trinité poétique du XIXe siècle, de Victor Hugo, de Lamartine, de Musset. Au centre, dans une nuit sereine, autour de l’Arc de Triomphe sous lequel repose Victor Hugo, s’agitent, mêlés aux nuées, tous les personnages, réels ou romanesques, qui ont vécu dans son cerveau tumultueux, Napoléon en tête, avec la grande armée. À droite et à gauche s’envolent de même, dans le vague des airs, les créations de Lamartine, représenté lui-même par un jeune homme en méditation auprès d’une balustrade, et d’Alfred de Musset, personnifié par une jeune femme nue, debout contre un pilier. Les trois compartimens, divisés par des treillis d’or, sont reliés entre eux par des figures bleuâtres, Gloires, Renommées, Génies volans, d’une allure vive et légère, dans le style fier et fin du XVe siècle florentin. La place qu’occupe au Palais de l’Industrie, sous un jour violent, cette peinture délicate et raffinée, ne lui est pas favorable. Un demi-jour mieux ménagé, à défaut de la lumière artificielle, ferait mieux valoir les qualités de cette œuvre distinguée, dans laquelle