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parlementaire convienne au tempérament prussien, et on ne voit pas comment s’y prendrait un empereur pour l’établir d’autorité en Allemagne, dans un empire fédératif où les privilèges des princes sont garantis par des traites. La fantaisie vint-elle à un roi de Prusse de sacrifier ses prérogatives, il n’aurait pas le droit d’imposer ses renoncemens au roi de Bavière ou même au grand-duc de Mecklembourg. Au surplus, si on entend par régime parlementaire un système de gouvernement où une assemblée omnipotente fait et défait à son gré des cabinets et tour à tour casse ou raccommode ses poupées, les exemples que nous donnons ne sont pas propres à inspirer à nos voisins l’envie de nous imiter. Nous faisons depuis quelque temps de la propagande à rebours.

Les institutions ont moins d’importance que la manière de s’en servir, et ce ne sont pas les choses ni les hommes, ce sont les procédés de gouvernement que Frédéric III se proposait de changer. Durant tout le règne de l’empereur Guillaume, M. de Bismarck, pour avoir raison de son parlement, a employé deux méthodes : il a recouru, selon les cas, à la politique de défi et de combat ou à la politique des marchandages. Souvent il le prenait de haut, redressait sa puissante taille, enflait sa voix, commandait, menaçait, déclarait aux représentans de la nation que la couronne leur faisait une grâce en daignant traiter avec eux. Souvent aussi, pour se procurer une majorité, il entrait dans de confidentiels pourparlers avec les partis, négociait indifféremment avec l’un ou avec l’autre, sans leur dissimuler qu’il n’avait d’amitié ni de sympathie pour personne, qu’il réservait ses faveurs au plus offrant : « Do ut des ; à qui me donnera ceci, je donnerai cela. » Et il s’arrangeait toujours pour recevoir beaucoup plus qu’il ne donnait ; quelquefois même, il ne donnait rien du tout, il se contentait de promettre, et tantôt il liait partie avec les libéraux pour tracasser les catholiques, tantôt il se raccommodait avec les catholiques pour tordre le cou aux libres-échangistes. Il appliquait ainsi à sa politique intérieure le système de coquetterie hautaine et décevante qu’il emploie dans sa politique étrangère lorsque tour à tour il alarme l’Autriche en renouant avec la Russie, inquiète la Russie en se rapprochant de l’Autriche. C’est ainsi qu’après avoir humilié son parlement par sa morgue, cette Célimène à la peau dure le déconcertait par sa versatilité, par ses fuites imprévues et ses brusques retours, par ses traités de circonstance, par ses perpétuels marchés, par ses amours d’une heure qui couvraient des haines immortelles. On reprochait au chancelier de n’avoir pas de principes. Il a confessé lui-même qu’il n’en reconnaît pas d’autre que la raison d’état.

Ce qu’aurait pu être le règne de Frédéric III, on le voit clairement par son rescrit du 12 mars, dans lequel il a résumé son programme. Il y déclare « qu’il ne touchera pas à la constitution, aux bases solides