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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/717

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Ce qu’il y a de plus curieux et ce qui ne fait certainement qu’ajouter aux confusions du jour, c’est que les partis, faute de rester dans la réalité des choses, plutôt que de se rattacher à ce qui est possible, à une politique sensée et pratique, préfèrent tout livrer au hasard et se lancer dans l’inconnu. Par une émulation singulière, au lieu de se servir de ce qu’ils ont sous la main, ils ont le même goût des aventures, ils se jettent sur le même mot d’ordre. La chambre n’est plus bonne à rien, elle n’a jamais été bonne à rien, la constitution est usée et impuissante : dissolution et révision, voilà qui est clair et net, et qui remédie à tout ! On peut dire sans doute qu’il est assez puéril de tant s’agiter pour une dissolution qui se fera d’elle-même d’ici à un an, qu’une constitution n’est, en définitive, que ce qu’on la fait : n’importe, il faut dissoudre et réviser, ne fut-ce que pour ne pas laisser le général Boulanger porter seul le drapeau devant le pays. C’est d’ailleurs la mode du jour, on ne peut donc se dispenser de la suivre ! Bien entendu, comme parmi les républicains chacun a sa concentration chacun a aussi sa révision. M. le président du conseil Floquet, qui a donné cet étrange exemple d’un chef de gouvernement mettant en doute les institutions qu’il est chargé de protéger, se contenterait probablement d’une réforme assez modeste. M. Clemenceau et ses amis de la Société nouvelle des Jacobins n’y vont pas de main si légère. Ils ne demandent rien moins que la suppression de la présidence de la république, la suppression du sénat, l’omnipotence d’une convention. C’est ce qu’ils appellent le progrès démocratique ! Seulement si les radicaux croient éclipser le général Boulanger et aller en avant avec leur programme, ils se trompent encore gravement ici. Ils ne font que rétrograder de près de cent ans et recommencer la révolution. Il y a eu, en effet, une convention, puis un directoire, puis un consulat. Tout s’enchaîne et s’enchaînerait encore une fois, c’est toujours la même chose ! La révision radicale ne serait pas décidément le meilleur préservatif de la dictature. Les républicains, il est vrai ne sont plus seuls dans la mêlée, et l’entraînement est si général que les conservateurs eux-mêmes ont cru devoir s’engager à leur tour pour leur cause, opposant révision à révision. Les groupes de la droite monarchistes, bonapartistes, se sont rassemblés récemment ; une cour plénière de toutes les nuances s’est réunie. Tous, ils ont mis en commun leur sagesse, leur prévoyance, leur expérience, et ils ont fini par s’entendre sur le programme de la campagne nouvelle dissolution, révision et consultation directe du pays. C’est fort bien : conservateurs, radicaux, sans compter le général Boulanger, vont combattre pour la révision devant le pays !

On peut se demander simplement si les conservateurs, tous ceux qui se croient conservateurs et qui le sont assurément dans une mesure différente, ont bien réfléchi en se prêtant à une agitation