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Cette guerre à coups d’arrêts et de déclarations n’était pas du goût de Condé. Les théories ne le séduisent guère ; les griefs des magistrats le laissent assez indifférent. Ce qui le frappe en ce moment, c’est le progrès de l’esprit de révolte qui déjà agite nos provinces, nos grandes villes, et dont les symptômes éclatent jusque dans la maison du Roi, parmi les premiers officiers de la couronne : en pleine cathédrale de Notre-Dame, sous un prétexte futile, les capitaines des gardes avaient publiquement et insolemment refusé de retenir ou de prendre le bâton, laissant le jeune Louis XIV seul au pied de l’autel[1]. Avant tout, qu’on rétablisse l’ordre et l’autorité du Roi !

Voilà le premier mouvement qui animait M. le Prince, lorsqu’à peine arrive à Rueil, tout chargé des lauriers de Lens, et souffrant encore de sa blessure[2], il se trouva en présence des députés du parlement qui venaient demander le retour de Leurs Majestés à Paris (22 septembre). Pris à l’improviste, il parla brièvement, mais « ferme, » engageant « Messieurs » à une soumission complète, et il s’excusa d’aller prendre sa place à la grand’chambre, où il avait été convoqué. La Régente ne chercha pas à dissimuler sa joie : « C’est mon troisième fils, » s’écria-t-elle ; le petit roi ne cessait d’embrasser son glorieux cousin, et Mazarin se montrait rassuré.

Cela dura peu. Condé se recueillit ; ses vrais sentimens se firent jour. S’il ne voulait pas qu’on laissât libre carrière aux factieux, il était loin d’admirer les procédés du ministre. La disette d’argent venait de lui causer de cruels embarras ; peu s’en fallut qu’elle ne lui ravît la victoire ! Éclairé par ses récentes angoisses, il comprenait l’urgence de mettre un terme au gaspillage, d’assurer la rentrée de l’impôt, de sortir de l’ornière où l’on se traînait, de réformer les finances. Les arrestations arbitraires lui rappelaient le long séjour de son père à la Bastille et au bois de Vincennes ; maladresse ou perfidie, Gaston ne manqua pas d’évoquer ce souvenir, ravivé encore par le récent emprisonnement de Chavigny[3]. Le véritable objet de cette mesure a été pénétré ; ceux qui fouillèrent les

  1. 15 août 1648, à propos d’une querelle survenue, lors de la célébration du vœu de Louis XIII, entre les gardes du corps et ceux de la prévôté.
  2. Condé avait pris le commandement de l’armée du Nord au mois d’avril 1648. Le 20 août, il gagnait la bataille de Lens. Le 9 septembre, Mazarin l’invitait à ne pas quitter son commandement ; le 12, la Régente et son ministre « le conjuraient de revenir » (sic, lettres originales, A. C). — Souffrant encore d’une blessure reçue le 8 septembre devant Fumes, il partit aussitôt, arriva le 18 à Chantilly, et, sur de nouvelles instances de la Reine, continua sa route sans traverser Paris. Le 19 septembre, il rejoignait la cour à Rueil.
  3. Chavigny, collaborateur favori de Richelieu, auteur de la fortune de Mazarin, ami des Condé, avait été arrêté et enfermé au donjon de Vincennes le 18 septembre.