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Tout autre est l’émoi autour des « nièces, » de ces fameuses nièces mystérieusement amenées de Rome, présentées avec éclat ou rejetées dans l’ombre selon le vent qui souffle, vivant tantôt en princesses, tantôt en recluses. Que de colères, que de tempêtes soulèvent les projets formés pour leur établissement ! Que de soucis elles causent au cardinal ! et sans qu’il puisse prévoir l’avenir, deviner comment l’une d’elles viendra à la traverse de son plus grand dessein[1], déjà que d’embarras ! Elles peuvent aussi lui assurer de grandes alliances, de puissans appuis. Il n’ose encore s’adresser ouvertement à la maison royale ; il y pense peut-être ; cela viendra bientôt. En attendant qu’il puisse appeler à cette haute destinée la plus belle, la plus vertueuse de ces jeunes filles[2], il cherche dans les rangs élevés, et toujours il rencontre Condé qui lui barre la route.

C’est à celui qui portera probablement un jour le grand nom de Guise que Mazarin avait pensé d’abord ; mais M. le Prince fit épouser au duc de Joyeuse la fille du comte d’Alais, sa cousine germaine[3]. Le jeune duc de Richelieu aura les trésors de sa mère ; il tient déjà le gouvernement de cette place du Havre que son oncle s’était réservé avec tant de jalousie, l’ancre de salut des premiers ministres ; Mazarin guettait cette proie. Duc, forteresse et millions, tout est enlevé par une jeune veuve active, adroite et résolue, la sœur de Marthe du Vigean[4]. Sensible au déboire de son ministre, la Reine en voulut mortellement à Condé. M. de Richelieu fut presque considéré comme un criminel d’état pour avoir, par son mariage, introduit dans la citadelle du Havre une amie du vainqueur de Rocroy.

Reste le clan des Vendôme : turbulens, factieux, affaires embrouillées ; mais le sang de Henri IV, grand état, hautes prétentions, racines profondes dans le peuple comme dans la noblesse. Il y a là matière à diverses combinaisons, qui permettront au cardinal d’apprivoiser peut-être cet intraitable Beaufort et surtout de soustraire l’amirauté à M. le Prince.

Pendant que Condé employait son influence à maintenir les

  1. Marie Mancini faillit faire manquer le mariage de Louis XIV avec la fille du roi d’Espagne.
  2. Anne Martinozzi épousa le prince de Conti en 1654.
  3. Louis de Lorraine, duc de Joyeuse, était le frère du duc de Guise, qui n’avait pas d’enfant mâle, mais qu’il précéda au tombeau (1654). Le 3 novembre 1649, il épousa la fille unique de Louis de Valois, comte d’Alais, petit-fils de Charles IX et du connétable de Montmorency. Le mariage, arrangé par Condé dès le commencement de 1648, fut retardé pendant près de deux ans par les manœuvres de Mazarin.
  4. Anne de Fors, veuve de M. de Pons, épousa le duc de Richelieu, fils de Mme d’Aiguillon, petit-neveu du cardinal.