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dehors, démolir l’abbé de La Rivière ; après plusieurs assauts, Gaston capitula dans les premiers jours de janvier 1650. Il ne restait plus qu’à exécuter M. le Prince.


VII. — M. LE PRINCE ARRÊTÉ ET CONDUIT A VINCENNES (18 JANVIER 1650).

Priorato raconte avec admiration la scène qui se passait, le 18 janvier 1650 au matin, dans le cabinet de Mazarin. De Lyonne écrit sous la dictée du cardinal ; Condé entre subitement, reçoit le plus tendre accueil et, tout en causant, s’approche de la table ; le secrétaire d’état n’a que le temps de cacher ses papiers, simule un autre travail ; le prince et le ministre échangent des protestations d’amitié, se promènent dans la chambre ; on parle de mettre la main sur quelques misérables compromis dans le procès La Boulaye ou dans l’affaire des rentiers ; cela peut causer du trouble ; ne serait-il pas à propos de faire monter à cheval une ou deux compagnies de la maison du roi ? Condé approuve : « Prenez le marché aux chevaux[1] comme lieu de rassemblement, et mettez-y Miossens ; » puis il s’en va. De Lyonne avait achevé sa rédaction ; le cardinal signa l’ordre d’arrêter M. le Prince, et Miossens était commandé pour l’escorte.

Le soir, M. le Prince revint au Palais-Royal, monta chez la Reine, restée au lit souffrante ; Mme la Princesse douairière était à son chevet. Après un échange de paroles banales, Sa Majesté congédia les visiteurs. C’est la dernière fois que Condé vit sa mère. Il se rendit à la salle du conseil, chercha querelle à l’abbé de La Rivière, causa avec Mazarin et d’Avaux ; on lui trouvait l’air anxieux. Le duc d’Orléans ne parut pas, se souciant peu de voir violer sous ses yeux la parole qu’il avait donnée à son cousin. Les autres membres du conseil arrivèrent successivement, entre autres le prince de Conti et M. de Longueville le dernier. Aussitôt Mazarin fit avertir la Régente qu’on l’attendait ; c’était le signal convenu. Anne d’Autriche se mit en prière, avec son fils.

Le cardinal appela l’abbé de La Rivière : « J’ai un mot à vous dire ; » et il sortit avec lui. Au même moment, le capitaine des gardes de la Reine entrait. M. le Prince crut que Guitaut[2] venait lui parler de quelqu’un des siens, — car il protégeait toute la

  1. Ce marché se tenait le samedi, près des remparts, là où aboutit aujourd’hui la rue de la Paix. Celui du mercredi se tenait sur la rive gauche, mais hors Paris, au-delà de Saint-Victor.
  2. François de Comminges. Son cousin, surnommé « le petit Guitaut, » le futur correspondant de Mme de Sévigné, était alors cornette des chevau-légers de Condé et fort dans l’intimité de M. le Prince.