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succède ; il restitue les otages et passe au service du roi de Thrace : Amphipolis est perdue. Cette leçon, pas plus que bien d’autres, ne profita aux Athéniens. Les fêtes, les luttes des orateurs et les spectacles, qui n’étaient jadis qu’une distraction aux virils travaux du commerce et de la guerre, étaient devenus leur principale occupation. Pourquoi ce peuple délicat et bel esprit, courtisé par tant de flatteurs, n’aurait-il pas, aussi bien qu’un potentat, une armée à ses gages ? « Avec un peuple nombreux, dit Isocrate, avec des finances épuisées, nous voulons, comme le grand roi, nous servir de troupes mercenaires,.. Autrefois, si on armait une flotte, on prenait pour matelots des étrangers et des esclaves ; les citoyens étaient soldats. Aujourd’hui, nous armons des étrangers pour combattre, et nous forçons les citoyens à ramer. Ainsi, quand nous faisons une descente sur les terres ennemies, on voit ces fiers citoyens d’Athènes, qui prétendent commander aux Grecs, sortir des vaisseaux la rame à la main, et des mercenaires s’avancent au combat couverts de nos armes. » — « Dès que la guerre est déclarée, s’écrie Démosthène, le peuple tout d’une voix décrète : « Qu’on appelle 10,000, 20,000 étrangers! » La vie de soldat devenant un métier, le luxe se glissa dans les camps, embarrassa les armées de bagages et rendit leur entretien plus coûteux : autre sujet de plainte pour Démosthène,

Ainsi se perdaient les habitudes militaires et toutes les vertus qui tiennent aux armes. Les armées cessant d’être nationales, les généraux cessèrent d’être citoyens ; ils devinrent des chefs de bandes conduits par leurs soldats plutôt qu’eux-mêmes ne les conduisaient, préoccupés de faire quelque établissement avantageux ou de gagner le plus possible en se mettant au service des étrangers, parfois même des ennemis de leur patrie. Ainsi Chabrias accepta le commandement des forces de l’Egypte révoltée, dans un temps où Athènes recherchait l’alliance du grand roi ; et il revint de ce service avec des mœurs si dissolues que la licence d’Athènes ne put même lui suffire. Iphicrate, qui conduisit 20,000 mercenaires grecs à Artaxerxès, devint le gendre du Thrace Cotys, et le seconda dans des expéditions ouvertes contre les Athéniens. Tous ces généraux, dit Théopompe, même le fils de Conon, Timothée, de tous le plus patriote et le plus désintéressé, préféraient la vie molle des contrées étrangères au séjour d’Athènes. Charès, un des favoris du peuple, habitait d’ordinaire à Sigée, sur la côte d’Asie. Agésilas alla mourir octogénaire au service d’un roi égyptien, et termina en aventurier une vie qui n’avait pas été sans gloire (358).

La Grèce eut même un marché permanent pour le louage des mercenaires. Au cap Ténare, pointe extrême du Péloponnèse, arrivait des trois continens qui entourent la mer Egée tout ce qu’ils