Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/841

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans des circonstances beaucoup plus graves, d’où dépendait la paix nationale, le président Tyler ne se montra pas moins hardi. Il venait de conclure avec le Texas une convention diplomatique, annexant aux États-Unis ce territoire qui avait secoué le joug de la domination mexicaine. Aussitôt il y expédia, pour s’en assurer la possession, toutes les forces de terre et de mer disponibles, sous prétexte que sa signature donnait provisoirement au traité force de loi jusqu’à ce que le sénat se fût prononcé. Les hostilités contre le Mexique se trouvèrent engagées de fait, quoique la constitution ait réservé au congrès seul le droit de déclarer la guerre. Plus tard, peu s’en fallut que le président Pierce, désirant s’emparer de Cuba, n’exposât l’Amérique aux attaques de l’Espagne et peut-être de la France et de l’Angleterre réunies.

Pendant la terrible lutte de la sécession, le pouvoir exécutif prend une extension extraordinaire. Sans attendre la réunion des chambres, Abraham Lincoln décrète le blocus des états révoltés, appelle 75,000 hommes sous les armes, et suspend l’habeas corpus, contrairement à la constitution et aux lois, selon quelques-uns, avant même que les événemens aient rendu indispensable cette mesure.

Une note diplomatique, contenant l’exposé doctrinal de la question, est adressée à lord Lyons, en 1861, par le secrétaire d’état (ministre des affaires étrangères) M. Seward. « Il semble nécessaire d’établir pour l’information de votre gouvernement que, d’après la constitution américaine, le congrès n’a aucune responsabilité ni puissance exécutives quelconques. C’est le président qui dispose de la totalité des pouvoirs exécutifs ; c’est à lui qu’appartient la direction de tous les agens administratifs, comme le commandement suprême de toutes les forces des États-Unis. Investi d’une autorité aussi étendue, il a le devoir d’étouffer l’insurrection, de prévenir et de repousser l’invasion. En conséquence, la constitution et les lois lui accordent le droit de suspendre l’habeas corpus où, quand et Comme il juge opportun de le faire pour le salut du pays menacé par la trahison, l’insurrection et la guerre. »

Malgré les résistances de la cour suprême, Lincoln nomme aussi des commissions militaires qui arrêtent et emprisonnent des citoyens jusque dans les états restés fidèles, où les tribunaux ordinaires siégeaient régulièrement. Enfin, au moment de réorganiser les états vaincus, il ne craint pas d’engager la lutte contre le congrès même, et de prendre pour arbitre le peuple, auquel il lance une proclamation directe, suivant l’exemple de Washington. Le suffrage populaire lui donna raison en l’élisant de nouveau à la présidence. Bon nombre de républicains estimaient toutefois que leur chef allait trop loin, a Lincoln est mort à temps pour Sa gloire, » s’écriait plus tard le vieux Thaddeus Stevens.