Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/890

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

En étudiant de près le caractère des hommes qui ont édifié ces puissantes fortunes, leur point de départ, leurs procédés et leurs méthodes, on est étonné parfois de la simplicité des moyens mis en œuvre, des deux ou trois facultés dominantes qui les caractérisent et que l’on retrouve presque invariablement chez tous : la concentration de l’esprit, et partant celle des forces et de la volonté sur un point nettement déterminé ; la formule simple et claire par laquelle s’exprime le but à atteindre ; la souplesse et l’élasticité des ressorts. Puis, l’effort continu et persévérant : qu’il s’agisse d’utiliser un produit jusqu’ici sans valeur ; de créer, avec un besoin nouveau, le moyen de le satisfaire ; d’ouvrir des débouchés à un produit connu en le modifiant suivant le goût de ceux auxquels on veut en imposer l’usage ; de demander à la science des méthodes plus simples de fabrication ou des procédés peu coûteux pour donner à des objets communs, d’un usage journalier, ce cachet d’élégance qui en rehausse l’aspect, flatte l’œil, satisfait et développe l’instinct artistique qui existe, à l’état latent, même chez les moins cultivés.

Dans cette lutte entre l’intelligence humaine et la matière première, que la nature domptée par la culture, ou l’animal perfectionné par les croisemens, lui livrent à l’état brut, l’homme n’a pas trop de toutes les ressources que la science met à sa disposition pour triompher des difficultés qu’il lui faut surmonter avant de convertir cette matière première à son usage personnel. On en jugera par un fait. M. J. Holden, l’un des plus grands tisseurs d’Angleterre, l’inventeur d’un procédé perfectionné de peignage de la laine, déposait, l’année dernière, devant la commission d’enquête, « que l’on n’avait pas dépensé moins de 2 millions de livres sterling, 50 millions de francs, en tâtonnemens ; que lui-même avait sacrifié plus de 1 million ¼ avant de découvrir un système satisfaisant de peignage, et qu’à sa connaissance M. Lister seul avait consacré une somme plus considérable encore aux mêmes recherches. »

Ce n’est là qu’un exemple pris entre mille. Et il ne s’agissait pas, dans ce cas, de découvrir un procédé nouveau. Dès 1790, le docteur Cartwright avait trouvé la solution du problème et pris un brevet. Il s’agissait d’améliorer ce procédé, de le rendre plus pratique et plus simple dans son fonctionnement, de substituer le jeu régulier de la machine au travail irrégulier de l’ouvrier, son mouvement infatigable et constant à celui du bras qui se lasse et faiblit.

M. Holden réussit et fonda, en 1849, à Saint-Denis, près de Paris, le plus important établissement, alors connu, de peignage de laines. Plus tard, il en créa deux autres, à Croix, près de Roubaix, et à