Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/954

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

politique du ministère jusqu’ici est de tout embrouiller, de continuer à tout ébranler, même la constitution, qu’il veut réviser tout comme M. le général Boulanger, — de ménager ses amis et alliés, les radicaux de toutes les nuances, en leur offrant l’appât d’une loi sur les associations qui leur permettra de reprendre la guerre contre l’église, contre le concordat. Le ministère de M. Floquet ne refusera sûrement rien aux radicaux, et, en attendant de mieux faire, la plus rare nouveauté qu’il ait eue à offrir est cette loi qui changeait la date des exercices budgétaires, qu’il a fait voter en toute hâte par la chambre, mais qui vient d’être arrêtée au passage par le sénat.

Ce qu’il y avait de curieux dans cette loi, c’est qu’elle remuait tout et n’était qu’un peu de bruit pour rien. Où était la nécessité d’une prétendue innovation dont le premier résultat devait être de mettre la confusion dans la comptabilité publique, de rompre l’unité entre les budgets départementaux et le budget de l’état, même entre les diverses parties du budget général ? Le ministère a prétendu que son système était plus favorable aux grandes réformes financières qu’il méditait, que ce serait d’ailleurs un moyen de faciliter la discussion du budget, d’échapper aux douzièmes provisoires. En quoi cependant les réformes qu’on tient en réserve, si elles sont utiles, seraient-elles plus faciles à réaliser parce que le budget commencerait le 1er juillet au lieu de commencer le 1er janvier ? Par quel miracle un changement de date aurait-il la vertu de simplifier la discussion du budget, et de permettre d’échapper aux douzièmes provisoires ? La vraie difficulté, on le sait bien, n’est pas dans une date ; elle est dans la commission du budget, qui, par son omnipotence abusive, par sa prétention de se substituer au gouvernement lui-même, par la lenteur calculée qu’elle met dans son travail, finit par tout compliquer, par rendre toute discussion sérieuse presque impossible, et par annuler le contrôle du sénat. Au fond, ce qu’on voulait, par cet expédient d’une substitution de date, c’était se tirer pour le moment d’embarras, obtenir tant bien que mal une prorogation de budget de six mois jusqu’au 1er juillet de l’année prochaine, et gagner ainsi du temps. Le jour où la discussion s’est ouverte devant le sénat, le rapporteur de la commission des finances, M. Léon Say, d’une parole nette et décisive, a mis en pièces le décevant artifice ministériel. Il a montré, en homme expérimenté, que toutes ces petites combinaisons étaient inutiles ou dangereuses, qu’elles ne servaient à rien, ne remédiaient à rien, qu’elles déguisaient à peine une impuissance agitée ; — et comme les ministres le pressaient d’avouer ce qu’il craignait, M. Léon Say leur a dit à bout portant, avec une piquante vivacité : « Je crains tout ! » À quoi M. le président du conseil, qui a toujours l’esprit d’à-propos et le mot juste, a répondu : « Cette confiance nous honore ! » C’est toute la question. C’est la lutte engagée entre la prévoyance qui avertit, qui prémunit